Le passager d’Amercoeur – Armel Job –  Éditions Robert Laffont – 2024 – ISBN 9782221273456

Automne 1988, vallée de l’Aisne, une rivière ardennaise de Belgique, affluent de l’Ourthe.

Le premier regard qui se posa sur la dépouille n’exprima aucune répulsion. Il ne reflétait que la curiosité, une certaine perplexité et même de la compassion. C’était celui de Sultan, un épagneul breton qui battait les buissons à quelque distance de son maître. Il restait rarement à ses côtés, préférant vadrouiller pour son propre plaisir, la truffe au ras du sol, à l’affût d’une musaraigne ou d’un merle.  À son maître il ne se référait que s’il était confronté à une découverte qui n’était pas de son ressort. Alors, comme il le fit à ce moment, il émettait des jappements particuliers, plus aigus, et espacés ainsi que des SOS. Son maître non loin de là les entendit et le rejoignit. Il le trouva en arrêt devant la tête de la victime, à qui il donna un coup de museau, comme pour la lui désigner. La main sur la bouche, le professeur Dumont, le maître, ne put réprimer un hoquet d’horreur.

« Au pied, Sultan ! »  murmura-t-il avant de se pencher prudemment vers le visage tuméfié.

Le corps sans vie de Grâce Modave est retrouvé accroché à la falaise, où elle semble avoir chuté depuis sa villa perdue dans les taillis. Il gisait au pied d’un rocher planté comme un arc-boutant dans la butte. À partir de la route en surplomb à quelque cent mètres plus haut, la pente était d’abord quasi verticale, puis elle se distendait, tout en restant abrupte jusqu’à la rivière. Le rocher était fiché en travers du coupe-feu réalisé onze ans plus tôt, en 1977. À l’évidence, le corps avait roulé d’en haut jusqu’au rocher. Le visage, les bras, les jambes étaient tailladés d’écorchures et bleuies par les hématomes. La robe s’était retroussée sur le dessus des cuisses, le corsage déchiré laissait à découvert des pans meurtris de chair intime.

C’était une femme, en effet, sur le flanc, la tête contre la pierre, les genoux légèrement repliés en chien de fusil. Le spectacle de la mort inspire toujours une secrète répugnance. Ce qui l’atténue quelquefois tient à une certaine beauté du corps apaisé, reposant en majesté, statufié en quelque sorte pour l’éternité. Mais un cadavre disloqué, couvert de blessures, qui, au surplus est celui d’une personne courte sur pattes, les membres boudinés, le tronc cuirassé de mauvaises graisses, ne peut que soulever le cœur.

La défunte est l’épouse de Maurice Modave, dit Momo, ancienne star du football local et riche propriétaire d’un magasin de chaussures à Liège. Si les gendarmes concluent rapidement au suicide, des zones d’ombre persistent autour de cette mort aussi soudaine que mystérieuse. Une aura de mystère se crée autour de Momo et de ses agissements emmêlés, en toile de fond, à sa relation fusionnelle avec Céleste, sa mère.

Touche par touche, dans la veine de ses romans psychologiques, Armel Job brosse ici le portrait particulièrement sensible d’un homme, objet et sujet de terribles passions contradictoires.

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