Au-delà de Madrid les oliveraies disparaissent – Christian Janssen-Déderix –Éditions Santana – 2024 – ISBN 9782960240771

Au cours de sa jeunesse Alberto Vasquez avait été éperdument amoureux d’Angela. Celle-ci, fille d’un simple journalier, avait d’abord répondu à son appel avant de se laisser séduire par les manières et l’opulente richesse de Luis Maria Cortigua, fils d’un des plus importants propriétaires terriens de la vallée du Guadalquivir. Poussé par le désespoir et la misère, Alberto avait alors quitté la région sans rien dire à personne et embarqué sur un navire grec en partance pour l’Argentine où il épousa Marguerita.

À cette époque-là aussi, la famille Cortigua se déchirait l’héritage d’un oncle de Séville. Résultat, après avoir échappé à une rixe mortelle avec l’un de ses frères, Luis Maria avait projeté de partir en Colombie, mais sa femme l’avait décidé à mettre le cap sur l’Argentine. Là-bas, ils s’étaient installés au centre de la majestueuse pampa, à 30 km à peine de chez Alberto. Évidemment ce dernier s’était toujours posé la question de savoir pourquoi Angela avait poussé son mari à venir si s’établir si près de son exploitation. Cette énigme allait le tracasser durant des décennies.

Cortigua avait consolidé une fortune. Alberto Vasquez avait réussi une fulgurante ascension sociale. Un point les séparait cependant : Alberto avait été spolié par des bandits – qui suprême drame –  avaient tué son fils unique et sa bru à coups de crosse de fusil, laissant orpheline leur petite Lucha.

Traumatisé par ce grand malheur et, pourquoi le nier, craignant d’être dépouillé à son tour par les pillards, don Luis avait regagné l’Espagne en emmenant la famille de son ami Alberto, ce qui avait renforcé leur amitié. Mais la vie en Europe, les affaires et la révolution avaient transformé leurs relations en une totale incompréhension.

« Alors, Alberto, tu deviens communiste, m’a-t-on dit ? »

L’interrogé haussa les épaules.

« Par intérêt, Luis, par intérêt, non par conviction. »

*

Luis Maria Cortigua avait toujours prévu ce qui se passerait à sa disparition : ses enfants envisageraient de morceler l’hacienda, quitte à vendre leur part à un inconnu. Pour éviter cela, il avait exprimé en toutes lettres le souhait de voir son neveu Severo prendre place dans la succession comme gestionnaire des biens familiaux. Laissant Angela, seule, abandonnée comme une pierre dans un mur.

Les années passèrent. Trahisons et scandales isolaient les familles. Angela et Alberto les deux vieillards se demandaient comment il avait été possible d’en arriver là, eux qui se vouaient une amitié teintée d’éternité. Le rêve de finir leur existence sous le même toit s’était transformé en un bras de fer familial, et cela pour une histoire qui ne les concernait finalement pas au premier chef.

*

Alors que les ravages du franquisme mettent l’Espagne à feu et à sang, deux amoureux décident de fuir autant la dictature familiale que politique. Ils traversent les Pyrénées, la France et s’installent en Belgique, dans le Borinage, au pied d’un terril. Severo devient mineur de fond et Lucha femme au foyer pour élever les enfants qui grandiront entre les deux cultures avec toutes les difficultés scolaires et sociales que cela comporte. La nostalgie de Severino était si grande que son silence en disait plus qu’un long discours…

Tandis que la première génération rêve de rentrer au pays, la seconde tente de s’enraciner là où elle vit et plus tard la troisième est pour le moins indifférente à la nostalgie du pays éprouvée par les grands-parents.

Dans le petit village borain, s’il y avait un personnage au courant de tout ce qui se passait dans le coron, ragots, complots et turpitudes, c’était bien le curé…

Une tendre saga sur un fond d’immigration.