Échappée cantalienne – Françoise Houdart – Éditions Audace/La Roulotte théâtrale – 2024 – ISBN 9782931183052

-Tu es bien décidée ? C’est terriblement désert, par ici, Julia…

Félix soupire en déposant ma valise et ma mallette d’ordinateur devant la porte de la maison d’hôtes que mon amie Cathy a mise une semaine à ma disposition dans ce hameau du Cantal dont je ne fais pas vraiment l’effort de retenir le nom.

-C’est idiot, Julia, s’énerve Félix. Ce n’est pas si difficile de retenir « Souliac », quand même. Tu n’as qu’à l’écrire à l’encre indélébile sur ton bras, au cas où tu te perdrais dans tes errances.

-A quoi bon ? C’est précisément ce que je cherche, Félix : me perdre dans mes errances.

*

« En ce matin, sans voix, frigorifié, comme un coq déplumé, j’allais, venais, d’une patte puis l’autre, bec doré, crête penchée, l’œil rond, parcouru de frissons, n’ayant pour but que de trouver la moindre graine, le petit ver à becqueter redonnant tout son sens à ma vie de volaille ». (Matins désenchantés – extrait des Billets de Contrebande – Alain Cadéo – Éd. La Trace 2024)

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Julia pensait trouver la sérénité d’une retraite en harmonie avec une nature généreuse et elle trouve une voisine qui la materne, un chien qui entre par la cave même si elle ferme les portes, une maison qui semble habitée par les fantômes de ceux d’avant et un homme, Guillaume, qui ne la lâche pas, un homme énigmatique dont on ne sait que penser. Qui est Guillaume ?

La porte qu’elle referme sur ce dernier, immédiatement, sans s’attarder sur le seuil. Ce Guillaume qui s’éloigne comme il était arrivé, sans bruit.

Cette clandestinité la rend mal à l’aise. Comment imaginer qu’ici, dans ce trou perdu à l’écart du monde, il faille avoir recours aux mêmes ruses et dissimulations pour se protéger de la curiosité d’un voisinage réduit à quasi rien ? De quel ennui se nourrit cette petite femme seule à la fenêtre de sa maison en haut du talus, pour tuer le temps à tenter d’apercevoir la voiture de Guillaume, le tracteur de son père Antoine ou les allées et venues des rares hôtes de la maison de Cathy ? De quels échos d’une vie laborieuse entre bois, champs et vignes, sa mémoire résonne-t-elle encore dans le grand silence de ce qui s’est tu ?

Je suis ici depuis trois jours, trois nuits, et je me sens de plus en plus tenue à l’écart de ce qui est essentiel à ma vie : l’écriture..

Julia est impressionnée, malgré elle, par le charme un peu mystérieux de Guillaume, la disparition de ses papiers lors d’un orage qui balaiera furieusement le village emportant sacs, chaises, parasols qui s’entasseront au fond de la vallée de l’Ouche.  Tout semble se liguer contre son projet de solitude paisible…

Noûr, la serveuse de l’auberge, Guillaume de la scierie du bas, le fils d’Antoine. La vieille Célestine et son chien, Brigand. Brigaaaannnnd… Adèle, Caroline…

Un chien aboie au loin dans ce nulle part de silence…

Aucune solitude apaisante, aucune méditation inspirante ne seront possibles dans ces conditions d’intrusion permanente. Chaque jour quelque chose m’apporte des énigmes à résoudre, soupire Julia.

Françoise Houdart a mitonné son texte, comme un grand chef son coq au vin. Elle a judicieusement planté ses personnages, cueilli leurs caractères, assemblé les contrastes. Ses mots, ses épices, tout le maelstrom sera délicatement passé au chinois pour laisser au saucier de la brigade qui sommeille en elle, l’ultime touche à cet ouvrage délicieux.

-Tu n’as rien oublié dans la maison ?

-Rien. Non, rien d’important.