L’ÂME DES PEUPLES – Parce que pour connaître les peuples, il faut d’abord les comprendre. Une collection des Editions NEVICATA

Une collection de petits livres tout en nuances pour décoder les ressorts profonds d’un pays, d’une région ou d’une ville. Un récit de voyage suivi d’entretiens incisifs et éclairants, mêlant vie quotidienne, actualité, histoire et culture.

Nouveauté :

BELGIQUE

L’histoire sans fin

François Janne d’Othée

96 pages
Format 11,5 x 16 cm
1 carte
ISBN 978-2-87523-163-5
Couverture brochée

Collection L’âme des peuples

Belgique – L’histoire sans fin – François Janne d’Othée – Éditions NEVICATA – coll. L’âme des peuples – 2024 – ISBN 9782875231635

« Vous êtes Flamand ou Wallon ? » est la question qu’on me pose souvent à l’étranger, lorsque je décline ma nationalité belge.

« Un peu des deux… »

Cette identité peu claire est le lot de beaucoup de belges. Il est vrai que Belges francophones et flamands se sentent de moins en moins engagés dans une communauté de destin, car chaque partie vogue de son côté et ignore ce que fait l’autre. Les belges n’auraient ils donc plus rien à partager que le roi, la bière, Bruxelles et les Diables rouges ? Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître les deux ou trois peuples (avec la minorité germanophone) ont plus d’affinités qu’on ne le pense. Ils se sentent bien plus proches, en tout cas, qu’avec les locuteurs de même langue des pays voisins.

La Belgique a subi tellement de chocs qu’elle a fini par l’avoir le cuir épais.

« Si l’État belge est faible, c’est le produit d’une histoire, écrivait François Brabant dans La Libre. Une histoire extrêmement violente, celle d’une population transbahutée ou fil des siècles de joug espagnol en domination autrichienne, de suprématie française en tutelle néerlandaise. On peut concevoir qu’elle en ait gardé une méfiance viscérale pour les démonstrations de force de quelque autorité que ce soit ». D’avoir été occupée par tant de puissances étrangères lui a donné un goût immodéré des libertés individuelles, une certaine défiance à l’égard de l’autorité et un grand esprit d’ouverture sur les avancées sociétales.

Alors qu’elle approche de son 200e anniversaires, la Belgique n’est pas qu’un accident de l’histoire. Son art de vivre partagé du nord au sud, son esprit entrepreneurial souvent pionnier, son humour caustique car il en a tant vu, ses fulgurances surréalistes cachées derrière sa légendaire débrouillardise seront toujours plus résistants que l’arrogance des puissants et le corset des structures étatiques. En attendant, bienvenue dans ce territoire mal connu, et qui a plus d’un tour dans son sac.

To belge or not to belge…

Roméo le wallon face à Juliette la Flamande : fallait-il cette histoire d’amour tragique pour comprendre l’âme belge ?

Le pays, a fourni quelques grammairiens de renom, à l’exemple de Maurice Grévisse et son célèbre Bon usage, comme si sa situation aux marches de la francophonie l’avait posé en gardien de la langue.

Le néerlandais, lui, revient de loin. Ce n’est qu’en 1898, soit près de septante ans après l’indépendance, qu’il devient langue officielle comme le français. Sous Napoléon, le néerlandais était aussi dédaigné que le breton ou l’alsacien, et les Flamands en tiendront rancune aux Français. D’où l’expression Franse ratten, rol uw matten (rats français, pliez bagage) qui célébra la défaite de Napoléon à la bataille de Leipzig. On l’a souvent entendue à la fin des années 1960, quand l’Université catholique de Louvain, en Flandre, s’est scindée. Priée de déguerpir, l’université francophone déménagea de l’autre côté de la frontière linguistique, sur un site créé au milieu des champs et baptisé Louvain-la-Neuve.

Et sur le terrain…

L’histoire sans fin

C’est un village de 400 habitants perdu au milieu des champs, au nom évocateur : L’Écluse, à une trentaine de kilomètres à l’est de Bruxelles. Il est traversé par un cours d’eau minuscule, le Schoorbroek, et fait face à une ligne invisible : la frontière linguistique, celle qui sépare la Wallonie de la Flandre, les mondes latin et germain. Elle daterait du quatrième siècle et correspondrait à la ligne de démarcation entre l’Empire romain et les Francs. Le temps ne l’a jamais effacée.

Elle épouse le tracé de la principale rue du village, nommée rue de Gaët à droite, et Gaatstraat sur le trottoir côté gauche. Dépendant administrativement de deux communes différentes, l’une francophone (Beauvechain), l’autre flamande (Hoegaarden, connue pour sa bière blanche), les maisons se font face, mais c’est un monde qui les sépare. Distribution du courrier, ramassage des poubelles, services d’urgence : rien n’est unifié. Dans la rue de Gaët, on peut capter des chaînes télé qui ne sont pas accessibles dans la Gaatstraat. S’il neige, la pelleteuse flamande ne déblayera que «sa » partie. Plus cocasse encore, les dates de l’ouverture de la chasse ne concordent pas.

Et pourtant, nulle animosité, pas de Checkpoint Charlie, pas de drapeaux provocateurs. L’Écluse n’est pas un barrage. Les gens vivent dans une parfaite entente, sauf les inévitables conflits de voisinage, mais qui n’ont jamais la langue pour origine. À vrai dire, on ne croise pas grand monde dans les rues. On n’y trouve plus aucun commerce, ni café. L’école a fermé depuis longtemps, ce qui n’empêche pas quelques enfants francophones d’être scolarisés dans une école flamande proche. Pas de maison communale non plus : depuis la fusion des communes en 1977, les bourgmestres ont disparu de la plupart des villages et les services aux citoyens sont désormais regroupés dans la commune dominante. Ici, les bourgmestres de Beauvechain et de Hoegaarden ont donc autorité, en fonction des rues.

Chaque année, les villageois des deux côtés se rassemblent dans leur maison communautaire, financée par la commune francophone. Un barbecue et des bières locales comme la blanche de Hoegaarden accueillent les convives, un buffet est dressé avec des plats apportés par les voisins. À l’extérieur, un petit orchestre met de l’ambiance. À une table, on parle français, à l’autre néerlandais. Les bilingues, peu nombreux, passent de table en table. À L’Écluse, les francophones n’habitent pas forcément tous d’un côté et les Flamands de l’autre. Freddy, par exemple, est flamand, mais réside du côté francophone. Du coup, il reçoit sa carte d’identité et tous ses papiers en français, et est répertorié comme francophone, même s’il ne l’est pas. Il n’y a plus de recensement des Belges en fonction de leur langue.

À L’Écluse, tout le monde se connaît. Aucune raison de se chamailler: les gens ont intégré qu’ils vivent dans des «pays » différents, mais qu’ils partagent ce même sens de la fête, de l’autodérision, et ce même goût de la bonne chère, des bières d’abbaye et du bon vin. Avec cette distinction que le Flamand apprécierait davantage le vin de Bordeaux, qui arrivait par la mer jusqu’au port d’Anvers, tandis que le Wallon serait davantage amateur de Bourgogne, peut-être une réminiscence de son appartenance au duché éponyme… Quant au moules- frites, institution belge par excellence (même si les moules proviennent des Pays-Bas), ce plat a été érigé au rang d’œuvre d’art par Marcel Broodthaers (1924-1976), un des grands surréalistes.

Moules-frites, surréalisme et autodérision, sont-ce là quelques ingrédients de la belgitude ? Pour les uns, ce terme recouvre une identité qui transcende les différences culturelles. Pour d’autres, il désigne une sorte d’identité en creux pour masquer que les peuples qui composent la Belgique partagent peu, sinon des éléments anecdotiques ou folkloriques. Ils reprochent aux tenants de cette belgitude de faire croire à une Belgique unitaire et révolue, et ajoutent que la Flandre, à l’identité bien plus affirmée, se reconnaît peu dans ce mot. C’est donc dans ce flou qu’il faudra débusquer l’âme belge.

Ce petit livre n’est pas un guide. Il nous invite à un parcours plein de surprises dans ce pays étriqué mais si varié, volontiers surréaliste et à l’humour caustique, qui sait cultiver son art de vivre.

Un subtil ouvrage qui vient enrichir la belle collection L’âme des peuples. L’âme des peuples parce que connaître les peuples il faut d’abord les comprendre.

« Outrebleu » – Arnaud DELCORTE – Unicité – 2024 -ISBN : 9782373559965 – Le mot d’Éric Brogniet dans le Carnet et les Instants

Une agonistique amoureuse

Arnaud DELCORTEOutrebleu, Unicité, 2024, 103 p., 14 €, ISBN : 978-2-37355-996-5

« Parcourir Outrebleu, c’est être en présence des corps, le poète écrit avec le feu, les étoiles, mais à partir du corps et les cinq sens en éveil», écrit S.-W. Mounguengui dans la préface à ce recueil. Arnaud Delcorte (1970) est l’auteur d’une dizaine de livres de poésie et d’un roman. Il y a chez lui, depuis Écume noire jusqu’à Lente dérive de sa lumière et Outrebleuce que Jean Jauniaux qualifie être « un déplacement du regard, de la rêverie, de la pensée poétiques ».  Son poème est le véhicule d’une quête de soi et du sens : existentielle et érotique, elle est vécue dans la conscience d’un écart qui permet un  rapport à l’autre. Car «  […] le soi ne se perçoit jamais lui-même qu’en présence de l’autre, dans l’effusion et même la fusion avec l’autre. La présence de cet autre, ami ou amant, en tout cas aimé, qui n’apparait entre les signes que par l’une des parties de son corps […] ». Ce rapport existe aussi dans la collaboration  du poète avec l’art visuel, offrant à ses vers la résonance d’un visuel photographique (avec Brahim  Metiba, dans Méridiennes) ou pictural (avec Kéven Prévaris dans Tjukurrpa ou ici dans le dialogue avec ses propres créations abstraites orientées sur le corps-à-corps lyrique du noir et du bleu).

Cette première approche n’empêche pas celle d’une structure architecturale reposant sur la composition en sept mouvements : Le poète et son double ; D’ivresses ; De plumes ; De nuits ; …Et d’eaux ; Dans la ceinture abyssale de Neptune et un Envoi final. Le chiffre 7 détient une place spéciale dans le monde ésotérique. Souvent considéré comme le chiffre sacré de la spiritualité, le 7 a été vénéré dans diverses traditions, des sept chakras mentionnés dans l’hindouisme aux sept jours de la création évoqués dans la Bible. C’est un pont entre le ciel et la terre.  Au-delà du caractère d’incomplétude de la vie humaine ressenti par l’homme contemporain depuis la mort de Dieu (Nietzsche), le besoin d’une relation à plus grand que soi et la quête d’un sens n’ont pas disparu pour l’homme moderne avec le sentiment religieux ancien.

Dans Outrebleu, on lit aussi : ce qui va au-delà du bleu. Le bleu n’est pas une couleur anodine : généralement associée à l’apaisement et à la stabilité, la couleur bleue fait aussi référence à la confiance, à la loyauté, à la paix ou à la vérité ; elle est associée à la sérénité, à la sagesse et au rêve, au bien-être et à la spiritualité.  C’est aussi la couleur mariale ou encore celle du ciel. Mais le substantif bleu désigne aussi une ecchymose. Par ailleurs, la symbolique culturelle du bleu porte aussi sur la sexualisation de l’être : dans le domaine de l’habillement n’attribue-t-on pas traditionnellement du bleu pour les garçons et du rose pour les filles ? Outrebleu offre donc au lecteur une grande polysémie et se présente dès lors, non pas comme le poteau indicateur d’une voie unique ou sans issue, mais comme une incarnation sensible de l’écart et un carrefour offrant plusieurs directions possibles. De même que la construction du recueil Outrebleu obéit à une architecture symboliquement attachée au sacré, le livre lui-même « constitue l’épilogue d’une trilogie sur les climats et passages de la relation à l’aimé », dans un triptyque composé précédemment de Aimants + Rémanences et Lente dérive de sa lumière. Le chiffre « trois », référence notoire à la Trinité connue par la chrétienté,  est aussi présent dans d’autres divinités indo-européennes. Les triptyques sont caractéristiques de la peinture hollandaise et italienne de la Renaissance. Ce format trouve un de ses aboutissements les plus connus dans Le jardin des délices de Jérôme Bosch mais aussi en littérature avec La divine comédie de Dante. Le peintre Francis Bacon utilisera fréquemment la forme du triptyque dans son œuvre, où, après Soutine, il offre une vision démembrée et agonistique du corps humain. Dans la dramaturgie amoureuse des corps gays de Delcorte, nous lisons cette recherche de complétude et d’accomplissement qui cherche à transcender nos éparpillements et désigne, au-delà du veuvage des corps et de la transitoire érotique de leurs membres, cet au-delà matriciel des eaux et de l’union parfaite d’avant la blessure :

Oui les braises sont bien là
Qui brillent et vacillent au rythme des lunaisons
Dans l’orient lustral de tes iris
Augurent une palpitation voire un craquement d’être
Mon être
Avant que le vent emporte les grandes palmes
Offrant lit d’infortune à nos déluges

Éric Brogniet

Le Carnet et les Instants

Le symbole de l’infini – Carino Bucciarelli – Editions M.E.O. – 2024 – Présentation par Gérard Adam, éditeur

On me libère aujourd’hui, mon nom a été cité dans le haut-parleur…

Des milliers de polars et autres films noirs commencent par une telle sortie de taule. Toutefois, si les romans qu’écrit Bucciarelli semblent s’édifier sur un terrain concret, leur stabilité s’effondre aussitôt. Entraîné à la suite du personnage, le lecteur peut se croire durant quelques paragraphes plongé dans un récit conventionnel. Mais bien vite, ses certitudes se désagrègent.

L’auteur abandonne ici la construction labyrinthique de ses deux précédents romans, Mon hôte s’appelait Mal WaldronNous et les Oiseaux (M.E.O.), pour une narration d’apparence plus linéaire – quoique -, sans pour autant abandonner le réalisme fantastique – ou magique, comme il préfère l’appeler – qui lui est cher autant qu’à nos contrées septentrionales. On peut dès lors considérer que le présent opus complète un triptyque inauguré par les deux précédents.

Poète, romancier, nouvelliste, Carino Bucciarelli est depuis 2021 président de l’Association des Écrivains belges de Langue française.

Hugo – Monique Bernier – Editions M.E.O. – 2024 – Présentation par Gérard Adam, éditeur

Hugo a cinq ans lorsque sa maman disparaît. Elle est partie sans laisser d’adresse, lui dit son père, elle voulait devenir actrice, elle a rencontré un cinéaste…

Que peut faire un petit garçon abandonné par sa mère ? Il pleure, il l’attend, il la cherche, certain qu’elle reviendra.

Son père lui aussi est triste, dépressif. Il se met à boire et devient méchant avec Hugo, tout en s’efforçant de sauver les apparences pour le voisinage.

Heureusement, il y a l’école, l’ami Martin, des personnes bienveillantes dans le quartier. Et surtout, Mamylouise…

Maintenant qu’il a neuf ans, Hugo raconte son histoire. Depuis le départ de sa maman jusqu’à ce jour où…

Psychologue de formation, Monique Bernier a travaillé comme thérapeute d’enfants avant de partir à l’étranger et de se mettre à écrire.
Hugo est son huitième livre, et le troisième aux éditions M.E.O.

L’amazone du Cirio – Jacques Lefèbvre – Editions M.E.O. 2024 – présentation par Gérard Adam

Une amazone ?

Un personnage mythologique préférant la guerre à l’amour ? Ou, simplement, une cavalière ?

Le Cirio ?

Une brasserie bruxelloise où une femme venue de Pologne et un Belge qui lui fait visiter sa capitale entrevoient une silhouette féminine. Ils se mettent au défi de faire d’elle l’héroïne d’un roman. Ainsi, entre connivences, badinages et brocards, naît sous leur plume une jeune Juive polonaise ayant échappé aux camps d’extermination qui ont englouti ses parents ; et traversant l’Europe centrale convulsionnée de l’après-guerre.

Un roman gigogne, qui se construit sous le regard du lecteur dans la critique incessante et les repentirs, où les relations entre les deux coauteurs se calquent sur les aventures fictives de leurs personnages.

Léonie B. – Sébastien Spitzer – Editions Albin Michel – 2024 – ISBN 9782226482716

« On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir au rivage… »

Léonie ne se lasse pas d’écouter parler Paul Gaimard, célèbre explorateur. Un homme affable, agréable. Un grand front carré au-dessus d’une paire d’yeux clairs. Des cheveux poivre et sel. Un nez court et marqué par une vie de bourlingue pour tenter de percer les mystères de la mer, les secrets de l’océan. Léonie voyage avec ses mots. Gaimard pourrait être son père. L’explorateur tourne sa langue dans sa bouche, sans doute pour y puiser l’accent charmant du Var. Il cherche le meilleur ton pour rassurer son hôte, roulant sous les voyelles et les bons sentiments. Il a besoin de lui pour cette mission hors norme. Ils sont dans le vaste atelier de l’artiste François Biard, transformé en salon, assis autour de la table ronde qui trône au milieu de la pièce, en compagnie d’un éditeur, un marquis sur le retour, habitué des faillites…

  • C’est une exploration d’un genre particulier. Ce que nous cherchons ? Je vais vous le dire, exprime Gaimard. C’est l’origine du monde !

L’Arctique avec ses glaces plus hautes que toutes les pyramides, plus élevées que les temples du Pérou ou que les tours de Notre-Dame, c’est pour cela que j’ai monté toute cette expédition. Biard et moi, lance l’explorateur, serons accompagnés des plus grands savants vivants, géographes, géologues, naturalistes, physiciens, météorologistes, botanistes et un théologien.

  • Et moi ! dit Léonie. Je veux en être, moi aussi. Emmenez-moi.

Lorsqu’elle embarque à bord d’un bateau de la Marine nationale, Léonie B. n’a que dix-neuf ans, l’âge des filles sacrifiées de la barrière des Martyrs. Elle s’est habillée en homme afin de participer à une expédition scientifique au pôle Nord. C’est l’audace de cette toute jeune femme qui séduit Victor Hugo, un poète qui se pique de la politique, lorsqu’il la rencontre à son retour. Ils ont vingt ans d’écart, sont tous deux mariés, le coup de foudre est immédiat.

Hugo tourne une idée le temps d’un battement d’ailes, puis s’incline et s’empare de la main de la jeune femme pour déposer dessus un baiser respectueux et les vers qui lui viennent.

  • Votre nom, traduction de votre double génie, commence comme lionne et finit comme harmonie.

Hugo est ferré. Ce sourire le harponne.

Léonie. Est-elle seulement mariée ? Elle ne porte pas de bague. Ni jonc d’or ni cailloux. Ses mains sont lestes et libres. Celles de Hugo sont moites. Ce qu’il éprouve alors échappe à tout ce qu’il sait. Devant l’émotion neuve, tous les mots sont usés. Il la laisse s’épanouir, remuer des sentiments qu’il croyait rouillés depuis le temps. La montée des possibles, le présent infini des vastes spéculations sur elle, sur eux, sur l’instant et l’avenir… Il se demande pourquoi. Pourquoi lui ? Pourquoi elle ?

Tout juste nommé pair de France, l’écrivain est protégé par son statut. Léonie, femme émancipée, va payer de sa liberté cet amour interdit. Elle est envoyée à la prison pour femmes de Saint-Lazare par son époux. Son sort fera prendre conscience à Victor Hugo de la condition des femmes et lui inspirera les premiers chapitres de son chef-d’œuvre : Les Misérables.

« On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée ; pour le coupable, cela s’appelle le remords. »

Pourquoi faut-il répandre des rivières de remords avant de sauter le pas ? L’avenir n’appartient-il qu’à ceux qui savent souffrir, s’arracher aux faux plis d’une vie qui tournerait mal ?

Sébastien Spitzer est l’auteur de quatre romans couronnés par de nombreux prix littéraires et du Dictionnaire amoureux de Victor Hugo (Plon, 2023). Il est également administrateur de la Société des Amis de Victor Hugo. Léonie B., son nouveau roman, est tiré d’une histoire vraie.

« Frédéric Mitterrand… Il connaissait la culture de l’intérieur, avec humilité et profondeur » Patrick Roegiers

HUMILITÉ ET PROFONDEUR
Pour Patrick Roegiers, écrivain franco-belge, qui l’admirait, Frédéric Mitterrand était un homme de verbe : « Il était l’une des dernières figures élégantes qui a voulu apporter la culture au grand public. Il a fait paraître la chose grave qu’est la culture comme une chose légère, je n’ai pas dit futile. De la photographie à la littérature via le cinéma, il connaissait tout le monde, intimement. Il connaissait la culture de l’intérieur, avec humilité et profondeur. »
La dernière fois que Patrick Roegiers a vu Frédéric Mitterrand, c’était pour une émission sur Public Sénat, en mai 2023, où chacun présentait son dernier livre, Nouvelle Vague pour l’un, Brad, sur Brad Pitt pour l’autre. « L’émission terminée, nous sommes repartis ensemble. On a déjeuné. Et puis Frédéric s’en est allé, veste de cuir et casquette sur la tête, pour cacher sa maladie. Il était flottant, comme s’il s’avait qu’il n’en avait plus pour longtemps, mais avec élégance. Où allait-il ? Sans doute vers la mort. »

Patrick Roegiers, Ecrivain franco-belge

Mirabelle – Philippe Moncho – Editions La Trace – 2024 – ISBN 9782487261013

Quand Philippe Moncho s’évade avec la muse… Alors l’écriture, c’est un fantasme de calligraphie sur sa peau, une poésie d’épiderme, le goût de la mer sur la langue.

L’écrivain corse est un contemplatif. Son narrateur aussi.

Je prends mon premier café accoudé à la fenêtre. Je regarde les passants qui traversent, je leur invente des vies diverses, un cours du destin qui s’inverse. Des tas de « peut-être » se bousculent dans ma tête. J’imagine les différentes raisons de ce qui les pressent. J’ai envie d’aller fouiner dans leurs rêves enfouis qui sommeillent, dans leurs aspirations secrètes mises en veille. À la croisée des pas anonymes ils forment tous un grand ensemble, oui, celui de l’empressement. Même ceux qui sont immobiles agglutinés dans l’abribus jettent des regards au loin ou plus près sur leurs montres. II me semble, vu leur attitude, qu’ils ne sont pas là où ils devraient être, pas sous la bonne latitude. Ils ont déjà la tête ailleurs, toute à la pensée de leur destination. Pour la plupart d’entre eux le futur est cadré dans un emploi du temps, serré, compressé, compact, optimisé, comme une ligne ferroviaire étirée dans un agenda. Vu comment ils tracent leur route en claquant du talon sur le goudron, ils doivent avoir des pieds enflés, des ampoules, des cals, ils doivent se sentir à l’étroit dans les chaussures de cette vie-là. Plus loin, les passants tracent, ils sont en phase de transportation hâtive, d’un ailleurs à l’autre. Là où ils sont, ils ne veulent plus être, et là où ils souhaitent être, ils n’y sont pas encore…

J’ai remarqué une vieille dame avec une canne, un grand chapeau ourlé d’un ruban bleu. Elle se lève et se rassoit sans cesse sur le banc de l’abribus. De tous, c’est elle qui s’impatiente le plus. Quand on arrive à cet âge de la vie c’est sûr, le temps c’est précieux, on apprécie l’exactitude.

Témoin naïf du monde des passants depuis sa fenêtre, Benjamin fait la rencontre accidentelle de Joséphine Buisson, mémé cascadeuse, la dame au grand chapeau. Elle est accompagnée de Elsa, une jeune femme élégante aux cheveux longs, belle comme un soleil… Elle travaille pour Madame Joséphine, au départ comme aide à la personne, et au fil du temps au service exclusif de la vieille dame au chapeau.

Joséphine, une momie blanche, à présent plâtrée et bandée des pieds à la tête. C’est une auteure dont il découvre l’œuvre et la vie tumultueuse au fil des pages des livres empruntés dans la bibliothèque du manoir où elle habite. Depuis les heures sombres de la Résistance, celles de l’Indochine et du récit intitulé Guangzhou, en réalité un voyage dans l’intestin du monde, et la rencontre avec Haimeï, prénom qui veut dire petite sœur de la mer. On aurait pu croire que c’était une romance coloniale à l’esthétique élégante et soignée, là, elle avait chargé la mule. En tant qu’auteure, elle était descendue racler le fond de son humanité, presser l’intestin du langage, pour former l’entortillage des phrases, et celui de l’offrande puante de Li Yin, un attrape-mouche naturel et gluant, arrosé d’un coulis d’hémoglobine. C’est sûr, Mirabelle, l’héroïne, en avait dans le ventre, il fallait avoir l’estomac sacrément bien accroché pour poursuivre la lecture.

J’ai terminé la lecture de Guangzhou. Certains ont pu traverser ces pages comme un roman d’aventures, moi j’ai l’impression d’avoir en cette nature, progressé dans l’intestin du monde.

J’ai remis le livre Guangzhou à sa place, il me fallait être précis, j’avais l’œil de Moscou derrière moi, j’agissais sous sa menace. Les autres bouquins aussi surveillaient mon créneau dans le parking des livres. Un seul ouvrage qui n’est pas à sa place, et voilà que le voisin développe une allergie, une irritation épidermique s’en suit, ça contamine le rayonnage. La fièvre jaune peut passer de l’un à l’autre, se retrouver à Carthage. Un livre qui n’est pas à sa place et c’est la révolution, une guerre qui se déplace, un château de cartes qui s’écroule, des pages qui s’embrassent, mêlent leurs langues et leurs phrases, c’est le grand baiser de la tour de Babel, un sacré bordel, une pluie de pâtes alphabet à réordonner comme un puzzle de l’impossible. Un livre à sa place, je connais son rôle de fondation, sous le regard de Joséphine Buisson, sous sa pression, je peux vous dire que je ne l’oublie pas. Je souhaite poursuivre la lecture de son œuvre, alors je tire à moi délicatement le livre suivant, ça s’appelle « Port-Saïd ». Je lui montre la couverture pour qu’elle valide mon choix. Elle crie : Ouiiiii !

De la guerre de Suez, de l’indépendance de l’Algérie, jusqu’aux barricades de Mai 68, Joséphine se transforme en Mirabelle, un nom que lui avait attribué le réseau. Joséphine amoureuse, Mirabelle guerrière, elle sème derrière elle des histoires d’amour et de mort, de larmes et de sang, des pans de la grande Histoire et des lettres intimes que Benjamin nous fait découvrir par ses lectures. Tantôt accoudé à la fenêtre de sa chambre, tantôt nous ouvrant grand celle d’un livre de Joséphine, ce lecteur ingénu progresse, crée un courant d’air littéraire chargé d’effluves. Il soulève pour nous le chapeau à large bord de Mirabelle pour nous dévoiler le vrai visage de Joséphine Buisson…

Tu te rappelles cette fois où tu m’avais fait rire, en disant que les mots étaient des pinces à linge ? Tu m’avais dit : « L’important ce ne sont pas les mots, les pinces, ni le linge suspendu, l’important c’est le fil et le vent dans le linge ».

Le livre a soif d’exhaler à nouveau ses parfums, ses émotions endormies dans sa silencieuse calligraphie.

Un bijou dans son écrin !

Yzzy a disparu – Bruce Benamran – XO Editions – 2024 – ISBN 9782374486390

Cela fait désormais une semaine que la toile s’enflamme et n’a qu’une question à la bouche : où est Yzzy ?

Yzzy,  l’influenceuse aux millions d’abonnés s’est volatilisée de la suite luxueuse du Fairmont Copley Plaza à Boston. Personne ne l’a vue quitter sa chambre, et elle reste depuis introuvable.

Steve O’Maley, inspecteur du Boston Police Department, était furieux, et sa furie légitime. Il avait hérité d’une affaire hautement médiatisée et ne savait même pas encore dire si un crime ou un délit avaient été commis. Pour couronner le tout, des gens de son service, ses collègues, avaient parlé à la presse. On ne parle jamais à la presse, pensait-il, tout le monde ici le sait.

Une question ? Pas de commentaire. C’est une règle immuable.

Un dossier totalement vide : une célébrité évanouie dans la nature sans que personne s’en rende compte. Il y a apparemment la moitié d’Internet qui veut des réponses, et il faut en plus colmater des fuites parce que je ne sais qui veut se faire mousser auprès de journalistes. Il nous fait tous passer pour des cons, dans cette histoire !

Et qui avait bien pu balancer l’agent d’Yzzy, Tim… Tom  Godblum, Goldstein, Goldberg… un gars insignifiant. Peut- être qu’il l’a assassinée, découpée en morceaux, cuisinée et bouffée en ragoût, ou peut-être qu’il ne sait absolument rien ? C’est pour ça qu’on ne commente pas les enquêtes en cours, merde ! Oui, pour toutes ces raisons, Steve O’Maley, était en colère. Mais cela allait passer. Il le fallait, parce qu’il ne pouvait pas conduire correctement un interrogatoire en étant énervé.

Steve O’Maley n’avait pas eu le choix, son capitaine lui avait collé ce dossier et il devait faire avec. Et qu’est-ce qu’il y avait dans ce dossier ? Une jeune femme riche et célèbre que son agent n’arrivait pas à localiser. Rien, en somme. Il tournait en rond et en avait bien conscience. L’enquête était au point zéro. Il lui semblait qu’elle n’avait pas encore débuté et, dans le même temps, qu’elle était arrivée à son terme. Personne ne savait rien, personne n’avait rien vu, personne ne comprenait rien à rien, mais, à la fois, tout le monde avait un avis, une conviction, quelque chose à dire.

On avait pris le temps de lui expliquer qu’Yzzy était une célébrité de calibre mondial, que son visage était reconnaissable jusque dans les coins les plus reculés de la planète, mais rien. Elle n’apparaissait sur aucune caméra de surveillance, sur aucun téléphone portable. Elle n’était nulle part. Un fantôme. Les médias le pressaient autant qu’ils le pouvaient, comme ils savaient le faire, mais l’inspecteur avait dû se faire une raison à ce sujet : ils n’abandonneraient pas de sitôt. Malgré la présence dans son foyer de deux adolescents, Steve O’Maley n’était pas assez moderne pour comprendre le fonctionnement des réseaux sociaux.

  • Pas de nouvelles ?
  • Pas à ma connaissance, répond Angela Sciavone, l’avocate de Tom Goldberg.

Angela Sciavone est une battante qui veut se faire un nom et pourquoi pas briguer un poste d’associée au sein d’un célèbre bureau d’avocats de la place. Son patron, Robert Callaghan Sr., celui dont le nom était le premier gravé sur les plaques à l’entrée du cabinet, lui déroulait, avec ce dossier, le tapis rouge.

Travis Midsummer, mentaliste, un personnage assez insolite.

Emily Kovalski, une jeune étudiante en communication à la Boston Université, vingt-deux ans, dont le seul crime a priori était d’idolâtrer Yzzy. Une groupie, une fan qui avait fait des allers et retours aux abords de l’hôtel quelques heures à peine avant ce qu’il était encore convenu d’appeler « la disparition ». L’inspecteur Steve O’Maley n’oubliait pas que le mot « fan » était le diminutif de « fanatique »…

Le procureur Alexander Harris, attorney general dans l’Etat de Massachusetts, qui poursuit actuellement sa campagne de réélection, ne peut rester silencieux et doit répondre à la question que tous les citoyens de la ville se posent : si une star internationale peut ainsi disparaître sans que la police puisse faire quoi que ce soit qu’en est-il de nos femmes, de nos filles… ?

Pour la presse, les médias, les avocats, c’est une histoire bien juteuse : une star planétaire disparaît, alors que tout le monde connaît son visage, et alors que tout le monde possède un appareil photo relié à Internet, personne ne l’a encore débusquée nulle part. Et ce n’est pas faute d’avoir cherché.

« Depuis que je travaille avec Yzzy, plus sa notoriété augmente, plus je suis reconnu dans le métier comme son agent, et moins je suis visible en tant qu’individu… ».

Voici donc l’histoire de Tom Ruben Goldberg… le petit juif de Brooklyn qui rêvait d’être grand.

L’histoire de qui ?…

Un thriller haletant qui plonge le lecteur dans les méandres des réseaux sociaux et des illusions de l’IA.