Si tu savais, c’est merveilleux – Marie Christine Barrault – Editions Stock – 2023 – ISBN 9782234094734

« Si tu savais, c’est merveilleux ! »

Ces mots sont bien plus qu’un testament laissé par ma grand-mère paternelle, vieille dame gardienne du soleil de notre enfance.

Ils éclairent ma vie.

Mon grand-père, lui, était en quête permanente de « l’invisible qui est l’essence même de la vie, le contraire du néant », voilà ce qu’il écrivait en 1933.

Ma mère, marchant ainsi sur les traces de son père, peint l’invisible avec talent, non pas sur une toile mais dans nos vies… Car à cette époque-là, le non-dit est notre colonne vertébrale. Il tient les adultes debout et les enfants s’arrangent pour pépier entre les branches.

J’ai huit ans, puis vingt-cinq, cinquante-deux, soixante-dix-neuf… La terre où je suis née est un puzzle que je reconstitue seule, peu à peu, au fil des décennies. Un puzzle qui ressemble un peu aux tableaux de mon grand-père, des formes biscornues que je tente d’emboîter les unes dans les autres : sous-entendus des adultes glanés ici et là, légers haussements de sourcils, pincements de lèvres scellées, lettres enfouies dans un tiroir, confidences d’amis… La composition finale, je mettrai ma vie entière à l’analyser, à en cerner les détails. 

« Papa est mort ! »

Mon père est mort. Il faudra trouver un substitut à ce vide phénoménal. Et le substitut, ce sera la vie.

Je mène une double vie : seule et pleine à la fois. Seule parce que, après la mort de mon père, je vis son absence sans pouvoir en parler à qui que ce soit. Je vis dans le secret de cette présence vibrante au fond de moi, je deviens donc, d’une certaine manière, quelqu’un de dissimulé.

Mais les rêves sont-ils encore possibles lorsque le plus précieux d’entre eux vient de s’écrouler au fond d’une tombe ? Ce rêve fou qui m’a tenu une partie de mon enfance, qui calmait si bien la bête au fond de ma poitrine…

VADIM. Il est presque midi. Il est allongé sur ce lit d’hôpital. Je prends sa main et la pose tendrement sur mon ventre : je suis enceinte. Non pas d’un enfant. Mais d’un homme qui part vers sa fin : atteint d’un cancer, Vadim est en train de nous quitter. Je suis emplie de lui, emplie de notre amour, emplie de nos souvenirs. Pleine et ronde comme une femme sur le point de mettre au monde, je veux le porter aussi loin que possible – jusqu’à la frontière. Là où tout s’achève ou peut-être commence. Alors je ferme les yeux et, doucement, je synchronise ma respiration avec la sienne. Deux cœurs qui battent, un seul souffle. Ainsi débute, sur ce petit lit d’hôpital, notre voyage vers sa mort imminente. 11 février 2000. J’ai cinquante-six ans.

L’homme de ma vie n’est plus de ce monde et pourtant, quel tour de magie a permis que je fasse de son décès un fruit qui, après m’avoir un temps arraché la gueule et le cœur, me nourrit chaque jour de son sucre ?

« Nos disparus nous offrent des fruits de sagesse. Au départ, il n’y avait que des graines qui auraient pu ne jamais croître. Mais je les ai arrosées de mes larmes et nourries de mes espérances. Elles ont alors révélé leurs promesses d’élans, de désirs et de vitalité. Aujourd’hui, la récolte est si généreuse que j’ai envie de la partager. De raconter la façon dont la mort m’a enfantée. Transmettre, en toute humilité, ce qu’elle m’a appris. »

Avec Marie Christine Barrault, nous allons à la rencontre de personnes chères à son coeur comme son oncle Jean-Louis Barrault ou ses maris Daniel Toscan du Plantier et Roger Vadim, et comprenons peu à peu comment leur présence à ses côtés, mais aussi leur disparition, lui ont permis de devenir celle qu’elle est aujourd’hui.

Et chaque matin, je me déplie en me concentrant non pas sur ce qui n’est plus, mais sur ce qui va bien et qui va pouvoir m’offrir du cent pour cent dans les douze ou quinze heures qui viennent. Question de volonté : je refuse que ma vieillesse atteigne l’essentiel. Et mon essentiel, c’est d’aller jusqu’au bout du bout, avec elle et non contre elle. Je la respecte, cette vieillesse, et je ne le laisserai jamais dire qu’elle est un cauchemar. Elle est au contraire une formidable opportunité : celle de continuer à se réaliser en faire et contre tout.

Une magnifique ode à la vie.