« OÙ VA LA LUMIÈRE MORTE ? » – Pierre Morlet. Le mot de Martin Ryelandt

Dans son livre « OÙ VA LA LUMIÈRE MORTE ? », Pierre Morlet nous invite à suivre cinq personnages de l’antiquité tardive (troisième siècle après JC.). Cinq hommes de rien, comme on dit, dont les dictionnaires historiques n’ont pas daigné nous parler, naturellement par manque de place, mais aussi, tout simplement, parce qu’il ne serait pas possible d’évoquer la vie de milliards d’individus écrasés par le rouleau compresseur de l’histoire, comme d’ailleurs de celle des milliards d’animaux (insectes rampants et autre vermine) sur lesquels nous marchons et dont nous interrompons l’existence sans même nous en rendre compte.

Ces cinq personnages, Marcianus, Tranquillus, Maximinus, Hypatios et Apollos, cinq lumières mortes, bien que vivantes dans les portraits que nous en fait Pierre Morlet, n’auront guère le loisir d’en profiter. Ces obscurs acteurs de l’histoire d’un temps révolu, comme nous le sommes souvent nous-mêmes à notre époque, sont habités par le désir a minima d’une réussite, d’un petit quelque chose qui pourrait les rendre heureux. Mais las, que ce soit l’amour de Sophia, pour Marcianus, l’ambition d’être reconnu comme poète par Tarantia, pour Tranquillus, la simple aspiration à rester vivant, pour Maximinus (sic !), le renoncement à sa foi par opportunisme, pour Hypatios, le meurtre de son compagnon esclave, pour Apollos, rien ne marche ou s’ils y gagnent un petit profit, celui-ci ne leur apportera que la solitude, la médiocrité, la honte ou la mort.

En lisant ces cinq textes (magnifiquement écrits), je n’ai pas pu m’empêcher de rire (quelques fois !) devant autant de noirceur, car, de mon point de vue, le pessimisme absolu a quelque chose de drôle et de réjouissant, dans de qu’il nous amène à relativiser les prétentions parfois cocasses de nos petites vies. Pierre Morlet m’évoque aussi un poète grec d’Alexandrie que j’aime beaucoup, Constantin Cavafy, mais avec un lyrisme plus dissimulé que celui-ci (bien que !), par son inclination à nous parler de la corruption des âmes et des corps, dans ce mot j’intègre aussi une forme d’incapacité à se renouveler, à toujours faire les mêmes bévues ou conneries, celles-ci se retournant finalement contre nous. Cavafy, dans certains de ses poèmes, aimait également se moquer avec une certaine tendresse des ambitions déçues de quelques obscurs rois ou princes de l’époque byzantine décadente, plus connus bien sûr que les lumières mortes, mais à peine. J’ai senti cette tendresse très présente chez Pierre Morlet aussi.

Un petit livre à ne pas manquer.

Aux éditions La Trace

Martin Ryelandt.