Causeries avec… Brice Depasse – « Nos Années 80 » La Story – Editions Chronica – 2023

Un livre de la Story de Brice Depasse dédié aux années 80, c’est bien plus que le Live Aid vécu dans la peau de Phil Collins, le triomphe de la génération new wave ou encore une soirée sur le plateau enfumé de Droit de réponse avec Coluche ou Serge Gainsbourg.

Nos années 80 est une immersion totale dans le quotidien d’un gars bien de chez nous qui fêtait ses 18 ans en 1980. Comment le conteur de Nostalgie a-t-il vécu ces années 80 considérées aujourd’hui comme une période bénie ?

Suivez-le ! Le voyage (dans le temps mais aussi dans l’espace), écrit dans un style qui préserve sa voix particulière, vaut son pesant d’histoires, de souvenirs et de confessions.

Sumo des mots… Un billet signé Alain Cadéo

Quand j’étais gosse, comme tous les gosses, je me battais à coups d’épée en bois contre une armée invisible. Je grimpais dans les arbres, le plus haut que je pouvais, afin de disparaître, en serrant fort la branche qui me portait. Et je laissais passer avec délice les adultes dessous parlant et riant fort, ne regardant jamais plus haut que la buée de leurs idées. Je passais donc mon temps à me cacher, à en découdre avec les vents, les courants d’air et les fantômes. Dans l’herbe je rampais et je courais si vite que personne ne pouvait m’attraper. Et je savais que je pouvais m’envoler. Je crus même un temps avoir le pouvoir d’invisibilité. C’est une claque qui me remit sur pieds. J’obstruais le trottoir d’une ruelle, convaincu que je serais traversé comme un spectre par des piétons pressés. Et je fus naturellement bousculé, poussé dans le caniveau puis giflé par une vieille dame qui me traita de mal élevé. Je réalisai alors que malgré tous mes efforts pour disparaître, on me voyait. Caves, malles, placards, camouflages, obscurité, rien ne fut désormais l’abri sûr où je pouvais me réfugier. J’étais passé du côté des vivants bruyants, pesants et colorés. Et de tout transparent, éthéré, maigre que j’étais, il me fallut pour ne pas trop me faire écraser, prendre du poids, enfin de l’étoffe, du caractère quoi, jouer des coudes, faire semblant de m’imposer. Car exister, c’est se montrer! Et je devins sumo des mots…

Ce sont les mots qui me sauvèrent du désastre ou d’un effacement complet. 

Je devins fort en gueule, désarçonnant mes adversaires à coups de phrases compliquées ne voulant surement rien dire, mais bien articulées. J’eus la passion des dictionnaires, surtout les vieux, rouges aux dos élimés, les gros très lourds remplis d’images me délivrant leurs doux messages, le délicieux fumet de mots qu’il me suffisait par goût et leur sonorité d’assembler afin qu’ils parlent d’eux-mêmes. Les évoquant, les articulant, je devenais comme phosphorescent et tant qu’à apparaître autant le faire en beauté. Je devins habité par le langage qui me servait de bouclier. Et les mots zigzaguaient, fusaient, partaient en orgues de Staline de tous côtés. Je pris, c’est entendu, quelques sévères raclées, puis on finit par respecter cette verbosité. Le ruisseau devint fleuve. On ne comprenait pas mais on m’écoutait. Je ne réfléchissais pas, je me laissais porter par des flots invincibles sous le regard surpris et amusé de ceux qui dépassés par ces tourbillons d’idées déclarèrent que j’étais toqué. 

Mais rien n’était meilleur après ces logorrhées que de me retrouver seul, comme vidé, dans un brouillard et la cendre des mots retombés. 

L’absolu silence qui suivait, une autre sorte d’invisibilité, me faisait m’estomper, m’évaporer, littéralement m’écrouler, délicieusement épuisé, sur une plage déserte, dans un mutisme au goût du sel et des marées, dont rien pendant des heures n’aurait pu me tirer. 

Alain Cadéo