Seul & Seule – Michel Ducobu – Éditions M.E.O. – 2024 – ISBN 9782807004191

Frédéric aura septante-cinq ans dans six mois et vingt-huit jours. Son seul compagnon, un vieux geai, Sax, qu’il a recueilli dans son jardin il y a une dizaine d’années. Pensez donc ! Lui, il a trouvé le moyen de ne pas mourir d’ennui : il fait dix fois le tour de son perchoir, dans un sens et puis dans l’autre, et quand il ne supporte plus ce manège, il m’appelle de son cri grinçant, je lui ouvre sa fenêtre et il accomplit sa tournée familière, il grignote peu à peu à mes livres préférés, dépose sa fiente sur un tapis, que j’ai trouvé précieux jadis, me cure une oreille, croque une douzaine de graines sur ma table et se pose durant quelques minutes sur mon téléviseur. Il faut le voir imiter le présentateur du journal télévisé ; il est unique, très drôle et fort bien informé, mais il ne m’apprend rien sur mon avenir, celui de la planète où j’habite, ni sur le délabrement général qui menace mes contemporains, du moins ceux qui partagent mon âge et mes difficultés articulaires. Vivant seul, sans amie d’alcôve, sans compagnon intime, sans voisin bavard ou jardinier volubile, j’occupe une petite maison de banlieue sans cachet ni rideaux accueillants. Je suis comme on dit un ours, ou un solitaire taciturne, un vieil égoïste, ou encore un cas.

Seul au monde, on finit par être un monde soi-même. Mystérieux, impénétrable.

Marie a cinquante-huit ans, sans ex, sans enfant, sans amant. La solitude me va comme un foulard de soie autour du cou. Légère, flottante, une caresse intime et confidente…

Ils ont la vie derrière eux, du moins le croient-ils. L’un et l’autre ont choisi la solitude comme viatique pour la route qu’il leur reste à suivre. Par commodité pour lui, par défaut pour elle.

Le hasard ou le destin, même si les deux solitaires ne font aucunement confiance à ces génies de l’inconnu, vont néanmoins s’intéresser à eux.

Lui : l’on va s’occuper de moi comme le ferait une aide-ménagère d’un petit vieux impotent…

Ils ne comptent pas les jours et les mois. Ils sont ensemble et ils ne le sont pas. Ils s’en contentent et ils y trouvent un terrain d’entente. Chacun chez soi et l’un chez l’autre, selon leur humeur. Ils n’ont personne d’autre dans leur vie. Apparemment, car ils n’en parlent jamais.

Elle : puisse qu’il fait mystère de son avenir je lui demande de me parler de son passé. Il lève les yeux au ciel et secoue sa main gauche pour écarter la question. Il est solitaire depuis longtemps. Nous nous rejoignons sur ce statut. Il n’a plus rien fait d’autre que rechercher le temps perdu de sa jeunesse. Quelques oasis féminines dans son parcours de chamelier lymphatique, des randonnées poétiques dans les Cévennes, sans âne ni compagnon de route.

Avec un peu de compassion, un rien d’humour et une bonne dose de cruauté, selon la règle.

La vie devant soi sera-t-elle plus forte que l’envie ou le mal de vivre ? La misanthropie de l’homme désabusé, la misandrie de la femme blessée peuvent-elles se dissoudre dans l’amour ?

Un défi, une expérience ultime, un sursaut sentimental les aideront peut-être à surmonter leur indifférence, à vaincre leur résistance.

Seul et seule deviendraient ainsi, par la force tranquille des choses humaines, d’humbles héros d’une histoire à la fois banale et déroutante.

Dans ce court premier roman, Michel Ducobu use d’une écriture maîtrisée, ciselée, dentelée, entraînant le lecteur dans un récit oscillant sans cesse de l’ironie à l’autodérision poignante.

La disparition d’Hervé Snout – Olivier Bordaçarre – Éditions Denoël – 2024 – ISBN 9782207178676

Célia et Paul Snout furent surpris quand Hervé, leur fils unique, leur annonça son intention de bifurquer à l’issue de la troisième vers un certificat d’aptitudes professionnelles dans les métiers de la boucherie.

En masquant une réaction épidermique de dégoût, ils s’interrogèrent et durent patienter avant d’obtenir quelques éléments de réponse pour comprendre un peu. Dévasté par les harcèlements de ses condisciples, « le chihuahua » ou « le petit raton » prononça un jour ces paroles : « Vaut mieux être trancheur que tranché ». Après quelques mois d’apprentissage Hervé leur confirma qu’il avait trouvé sa voie. Il aimait la viande, il aimait tailler du muscle il était fier d’apprendre un métier qui nourrit le monde. Paul, le père, en son for intérieur, ne comprit jamais la passion de son fils. Lui, qui avait fondé avec son épouse une humble entreprise d’horticulture en plein bocage normand, était un homme chétif, très lent, au calme olympien, jamais un mot plus haut que l’autre. Célia, femme maigre au teint blanc, avait démissionné de l’Education nationale pour seconder son mari au jardin. Elle était aussi pacifique que lui, ne supportait ni les bruits ni les cris et quand elle concoctait un plat carné pour son fils, elle l’accompagnait de légumes verts et de graines variées. Elle encourageait Hervé à consommer de la salade et des pousses de soja frais, mais plus le jeune homme avançait en âge, plus il rechignait à se remplir de cette nourriture pour lapin. à 10 ans il était déjà grand amateur de viande rouge. Pas plus que le foie de génisse, la langue de bœuf ne l’intimidait. Les années passèrent…

Hervé Snout est à présent un homme de quarante-quatre ans à la calvitie naissante, aux petits yeux d’un brun clair vitreux, aux lèvres fines presque inexistantes, au nez pointu et au menton légèrement prognathe. Rasé de près et le cheveu coupé court pour diminuer l’effet dégarni, il mesure un mètre soixante-dix pour soixante-treize kilogrammes. Il dirige le dernier abattoir du département. Depuis une douzaine d’années, il supervise, organise, innove, dégraisse quand cela est nécessaire, augmente la productivité, multiplie la clientèle, modernise les équipements, gère les ressources humaines sans états d’âme, réprimande s’il le faut, distribue des primes, soutient les cadences, espère que les menaces de fermeture au motif de la modestie des dimensions de l’usine resteront lettre morte et délègue le reste à son assistante-secrétaire-comptable Élodie Moreau. Il aime son travail il était fait pour cela il n’en a jamais douté. Pour Gus, un des ouvriers de la section d’abattage des bovins, Snout-le chihuahua est un requin.

Pour l’heure, Hervé Snout tient l’anse d’un mug fantaisie sur lequel est imprimé un personnage bedonnant dans une chaise longue avec cocktail, rondelle de citron et paille coudée. La légende de l’illustration et la suivante : C’est qui le chef ?

Odile Snout, la femme d’Hervé, une blonde de trente-huit ans aux cheveux épais, s’affaire dans la cuisine de son pavillon cossu. Le bœuf bourguignon qui a mijoté toute la journée est prêt. Avec ses deux adolescents, Eddy et Tara, des jumeaux dizygotes âgés de quatorze ans, elle attend son époux, dont on fête ce soir-là l’anniversaire. Les heures passent et Hervé ne se montre pas. Quelque chose ne tourne pas rond chez les Snout et l’angoisse commence à monter.

Le lendemain matin, à la gendarmerie, le lieutenant ne semble pas inquiet. Pour le gendarme, Hervé finira par rentrer chez lui, et reprendre son travail.

On a bien le droit de disparaître.

Ah… la saveur d’un bon ragoût !

De sa langue incisive d’où émerge une poésie du quotidien, Olivier Bordaçarre brosse une analyse glaçante du monde du travail, du couple et de la famille.

Le Papillon noir : l’ombre du Caravage – Radu Paraschivescu – Editions La Trace – 2023 – ISBN 9791097515829

Michelangelo Merisi, de Caravage, village de la région de Bergame, eut une enfance et une adolescence difficiles. Sa date de naissance était inconnue jusqu’à la découverte, récente, du contrat d’apprentissage qui lui ouvrit en 1584 les portes de l’atelier de Simone Peterzano, peintre réputé de Milan, « élève de Titien ». Michelangelo a alors treize ans. Il est donc né en 1571, année de la bataille navale de Lépante, qui assura la primauté de la chrétienté en Méditerranée, quelques mois avant la Saint-Barthélemy.

Son père, Fermo Merisi est « magister », c’est-à-dire l’architecte décorateur du duc de Milan, marquis de Caravage, Francesco Ier Sforza. Michelangelo passe ses premières années à Milan. En 1576, la peste s’abat sur la ville. Le duc et son entourage se mettent à l’abri au marquisat de Caravage. Mais l’épidémie y rattrape le père de Michelangelo et son oncle, qui succombent. Sa mère aura de grandes difficultés pour élever ses cinq enfants.

À la mort de Francesco Ier Sforza, le marquisat échoit à un prince Colonna. C’est sans doute ce prince qui, averti des dons du jeune garçon de Caravage, négocie un contrat de quatre ans avec Simone Peterzano. La protection des Colonna ne fera jamais défaut à Michelangelo – et l’arrachera même, bien plus tard, à des pièges mortels.

Sur l’activité de l’atelier de Simone Peterzano, à Milan, quand Michelangelo Merisi y entre, on sait peu de choses. Giovanni Paolo Lomazzo écrit dans son Traité (publié en 1584) que Peterzano était recherché pour « l’élégance et la légèreté » de son travail. On connaît de lui des fresques à la Chartreuse de Garegnano, près de Milan, où maniérisme et réalisme lombards se mélangent. L’influence de Peterzano sur les premières œuvres de Michelangelo apparaît clairement. Mais on devine aussi d’autres influences. Celle des grands Anciens. (Cf. Gilles Lambert – Taschen – 2000)

À 35 ans, le peintre Michelangelo Merisi, ce misérable arrivé à Rome avec un balluchon sur le dos pour fuir la faim et faire tourner la tête aux riches, est au comble de sa gloire qu’il vit de manière exubérante. La Rome entière est scandalisée par les frasques de cet artiste vagabond, bourré de talent mais vif dans ses colères.

Le Caravage est le peintre le plus mystérieux et sans doute, le plus révolutionnaire de l’histoire de l’art. A Rome, trente-quatre ans après la mort de Michel-Ange, il fut à l’origine d’une réaction violente contre « la manière », la façon de peindre de ses aînés, qu’il jugeait limitée, mièvre, académique. Il imposa un langage réaliste, théâtral, choisissant dans chaque sujet l’instant le plus dramatique, recrutant ses modèles dans la rue, même pour les scènes les plus sacrées comme La Mort de la Vierge, n’hésitant pas à les peindre de nuit, ce que peu d’artistes avaient osé avant lui. II proclama la primauté de la nature et de la vérité.

Sa peinture était scandaleuse, sa vie ne le fut pas moins. Michelangelo Merisi, appelé à présent le Caravage (du nom de son village natal près de Bergame), fut un scélérat, un type dangereux, un révolté permanent, un nœud de ressentiments, d’envies et de mauvaises habitudes. Mais en même temps une sorte de plume rare, de luxe, à mettre au chapeau de bien des nobles romains qui voulaient passer pour amis et défenseurs des artistes et de l’art.

D’autres artistes de génie avaient eu maille à partir avec la justice : Duccio était ivrogne et querelleur. Le Pérugin, amateur de rixes et de combats de rue, fit de la prison dans sa jeunesse. L’orfèvre Benvenuto Cellini accusé d’escroqueries, de meurtre et de sodomie fut enfermé à Rome, au château Saint-Ange. Ces braves artistes peintres maniaient aussi bien l’épée que le pinceau. Le Caravage, lui, fut arrêté et incarcéré à maintes reprises, avoua l’assassinat d’un partenaire de jeu de paume qu’il soupçonnait d’avoir triché. La rumeur lui prêta d’autres crimes. Ce peintre de génie, qui travaillait à une vitesse incroyable, directement sur la toile sans même esquisser ses personnages, vécut de cachot en cachot, d’où l’arrachaient de plus en plus difficilement de puissants protecteurs. De sa dernière prison, dans l’île de Malte, il s’évada à grand péril. Proscrit, recherché, persécuté, le Caravage disparaît sur une plage au sud de Rome, peut-être assassiné comme le cinéaste Pier Paolo Pasolini. Il n’avait pas quarante ans.

Dans son roman Le papillon noir, l’ombre du Caravage, (traduit du roumain par Florica et Jean-Louis Courriol), l’écrivain roumain Radu Paraschivescu nous décrit un Caravaggio qui n’a pas peur de choquer ni de scandaliser, en témoignent ses portraits de putains en Sainte Vierge peints sur les murs des églises. LE CARAVAGE, artiste inquiétant et incompris, est hanté par un papillon noir qui trouble ses rêves, à moins que ce soient ses cauchemars, fasciné par le noir compact et les clairs obscurs… et la voix posthume du Maître Simone : « Je ne veux pas de rayures ni de lignes, je veux du noir bien plein ! Un gouffre de poix, c’est ça, ce que tu dois me peindre ! Imagine que tu entends un bruit dehors par une nuit sans lune, tu allumes ta chandelle, tu ouvres la fenêtre et les ténèbres font irruption dans ta chambre ! Mets-toi au boulot et fait entrer les ténèbres sur cette sacrée toile ! »

« Le Caravage est le premier qui montra le meurtre en acte. Avant lui, toute la peinture était idéalisante.» (Dominique Fernandez). À lire aussi : La course à l’abîme – Dominique Fernandez – Grasset – 2002)

Seul et Seule – Michel Ducobu – Une présentation de Gérard Adam – Editeur – Editions M.E.O. 2024

Ils ont la vie derrière eux, du moins le croient-ils. L’un et l’autre ont choisi la solitude comme viatique pour la route qu’il leur reste à suivre. Par commodité pour lui, par défaut pour elle.
 
Le hasard ou le destin, même si les deux solitaires ne font aucunement confiance à ces génies de l’inconnu, vont néanmoins s’intéresser à eux. Avec un peu de compassion, un rien d’humour et une bonne dose de cruauté, selon la règle.
 
La vie devant soi sera-t-elle plus forte que l’envie ou le mal de vivre ?
La misanthropie de l’homme désabusé, la misandrie de la femme blessée peuvent-elles se dissoudre dans l’amour ?
 
Un défi, une expérience ultime, un sursaut sentimental les aideront peut-être à surmonter leur indifférence, à vaincre leur résistance.
 
SEUL et SEULE deviendraient ainsi, par la force tranquille des choses humaines, d’humbles héros d’une histoire à la fois banale et déroutante.

https://www.meo-editions.be/product-page/seul-seule-michel-ducobu

Dans quel monde on vit – Ralph Vendôme – Une présentation de Gérard Adam – Editeur – Editions M.E.O. 2024

Dans quel monde on vit…
Une femme révèle à ses enfants qu’une autre vie était possible, sans maternité. Un patron charismatique applique une notion particulière de la logique industrielle. Une jeune fille ne sait plus à quelle morale se vouer, qui sont les bons et qui les méchants. 
Dans quel monde on vit…
Les artistes contemporains reculent plus loin encore les frontières de l’absurde.
La dictature est une affaire de famille.
Le routier se pend après avoir entraîné son camion sur une pente honteuse.
L’ange d’affaires retourne sa veste côté démon. 

Dans quel monde on vit n’est pas une question, c’est un constat.
Ces onze nouvelles orientent le projecteur de manière à créer d’immenses ombres au tableau.

Le badaud transparent… Alain Cadéo

Vous est-il arrivé de ne plus vous reconnaître? Je ne parle pas de votre tête mais de ce qu’il y a dedans. Vous n’êtes plus le même. Ce qui vous passionnait, vous motivait, vous indiffère. Ce qui vous irritait vous amuse. Ce qui vous mettait vent debout, le coup de poing tout fait, vous assomme. Vous n’avez envie de rien de particulier. Vous planez, vous flottez, léger et sans idée, sans parti pris et sans juger. Vous êtes en roue libre, indifférent, dans un ailleurs qui vous va comme un gant. Vous ne vous souciez même pas de ce que vous étiez. Hier est comme un bien lointain passé. Vos proches s’inquiètent et se demandent qui vous êtes. Vous êtes l’étranger bienheureux, l’amnésique sacré, l’ombre que tout le monde frôle sans la voir. Comme il est bon d’être en dehors de tout et à la fois de ressentir tous les frissons du Monde! 

Saisir la Vie sans vouloir s’en mêler, fait de moi aujourd’hui un témoin transparent, incapable du moindre jugement, sans pays, sans patrie, sans papiers. Et je n’ai  d’autre envie que de passer comme une âme légère n’ayant nul besoin de ces encombrants que sont les caractères, les réactions, les personnalités, enfin tout ce tintouin, disons-le, ridicule, qui fait que nous nous battons bêtement pour tenter d’exister. Vivre, c’est au contraire se glisser le plus loin de ce que l’on croit, dur comme fer, être soi-même. C’est surtout se défaire de ce pour quoi, à coups de trique, on nous a façonnés.

Alain Cadéo

Mes carnets noirs – Colette Braeckman – éditions Weyrich – 2023 – ISBN 9782874899096

Les plus anciens se souviendront des journaux des bons Pères De Vos, Vermeulen, ou des révérendes Sœurs qui nous contaient au début du siècle passé la vie quotidienne et les faits et gestes au sein de leurs missions disséminées dans la vase colonie qu’était l’ex Congo belge. D’autres décrivaient les premiers jalons d’un jardin botanique créé par le père jésuite Justin Gillet qui inspireront de nos jours encore quelques écrivains fouineurs (Cf. : La piste congolaise – Francis Groff – Coll. Noir Corbeau des Éditions Weyrich).

Qui n’a pas été accueillir à Anvers, l’oncle, la tante, les cousins congolais, ces colons qui revenaient en vacances au pays avec une rutilante voiture américaine, preuve éclatante de leur réussite dans cette colonie africaine ?

Qui n’a pas eu à sa table le bon Frère à longue barbe, en soutane blanche et sandales avachies, qui distribuait chapelets, sculptures africaines et petits objets en ivoire dans l’espoir de recevoir quelque soutien matériel avant de retourner dans sa mission ?

Il y a eu Hergé et son «Tintin au Congo ».

Et puis sont apparus une signature et un nom, qui se sont affirmés dans les dernières décennies des années 1900. « Colette Braeckman ».

Comme l’explique son éditeur, Colette Braeckman, grand reporter pour Le Soir, arpente la planète dès les premières années de sa carrière de journaliste. Les reportages se succèdent, Amérique latine, Asie du Sud-Est, Portugal, Corne de l’Afrique… Puis dans les années 80, elle se concentre sur le pays dont elle rêvait depuis l’enfance : le Congo devenu Zaïre, l’ancienne colonie des Belges.

Elle y couvre les dernières années du régime Mobutu, l’arrivée au pouvoir des Kabila père puis fils, les guerres successives et les drames humanitaires. Au Rwanda, elle suit toutes les étapes du génocide, depuis les signes avant-coureurs de la tragédie jusqu’à son accomplissement.

Les guerres et les drames de l’Afrique centrale lui inspirent une dizaine de livres et de nombreux articles dans la presse internationale.

Cependant, au tournant des années 2010, faisant allusion au découragement du Dr. Mukwege, le médecin-chef de l’hôpital de Panzi, elle écrit : je me demandais à quoi servait de multiplier les écrits, article, ou dossiers, d’aligner les faits et les chiffres, de relater les affrontements armés qui se succédaient, de décrire les rebellions et de compter les morts, puisque rien ne changeait ou si peu ou si lentement…

Dans cet ouvrage passionnant, Colette Braeckman raconte ses années passées au galop, assemble le grand puzzle de sa vie d’aventurière, raconte les coulisses de ses enquêtes et ses tête-à-tête avec les chefs d’État africains et leurs modestes sujets. Avec elle, on bondit dans l’avion, on mange la poussière sur les pistes congolaises, on risque sa vie pour un bon papier…

Impressionnant !

*

« Magnifique témoignage vécu et raconté, la vie engagée d’une journaliste, un regard pointu sur l’actualité. » Paul De Gobert

L’Étoile du matin – Karl Ove Knausgaard – Éditons Denoël – 2023 – ISBN 9782207165553

C’est une longue nuit d’août, dans une petite station balnéaire du sud de la Norvège. Au premier matin…

Kathrine Reinhardsen, pasteure, redoute de rentrer chez elle par peur de croiser Gaute, son mari, bon père de famille, altruiste et attentionné. Que demander de plus… Un jour, devant une assistance réduite aux deux agents des pompes funèbres, la photo du défunt ressemble à l’homme croisé à l’aéroport quelques heures avant la cérémonie. Si l’homme de l’aéroport était aussi le défunt, l’ironie de la situation ne manquait pas de piment.

Emil, garde d’enfants a laissé tomber un bébé plus tôt dans la journée et tente de faire bonne figure auprès de ses amis.

Arne, la quarantaine, quant à lui, peine à contenir son agacement face à Tove, sa femme bipolaire, peintre à ses heures. Les jumeaux Asle et Heming. Ingvild, la sœur aînée.

Egil, l’ami du couple, fait partie de ces personnes, qui dans la vie, semblaient coincées, tourner en rond, stagner. Il connaissait un tas de choses sur des tas de sujets différents, mais il n’était pas foutu d’en tirer profit. Un grand gaillard dénué de charisme. Il vivait seul dans un chalet voisin. Il était né dans une famille d’armateurs, avait monté sa boîte de production et s’était lancé dans la réalisation de films documentaires relativement obscurs pour la plupart. Il avait suivi pendant un an un groupe de death metal originaire de Bergen.

Au matin, sans crier gare, son ex lui envoie un texto : Viktor est dans le bus en route vers chez toi. Il arrive à la gare routière à midi moins vingt. Camilla.

Iselin se cache derrière la caisse du supermarché où elle travaille, craignant que son ancien professeur, lui pose des questions sur ses études interrompues.

Solveig, médecin, prend soin d’un ancien camarade de classe rêveur.

Jostein Lindland est journaliste pour les pages culturelles d’un journal de la place. Il traque l’info afin de reprendre sa place dans le journalisme d’investigation. Turid Tusseladd, sa femme. Ole, leur fils, un jeune garçon dépressif. Dans la soirée, Geir, une relation dans la police, lui fait part de la découverte d’un carnage dans la forêt. Jostein vient d’hériter d’une affaire sacrément étrange. La bande de satanistes a été massacrée de la plus épouvantable des façons. Le meurtrier est en liberté. Et dans la presse, personne n’est encore au courant. Il tient le scoop qui va lui remettre le pied à l’étrier. 

Au second matin…, ce n’était pas le soleil. Ni la lune. Mais une sorte d’étoile. Énorme. Une immense étoile qui embrase le ciel et semble se rapprocher dangereusement de la surface de la Terre. D’autres phénomènes étranges surgissent dans la vie des personnages. Quel sens trouver aux forces qui dépassent notre entendement ?

Quand Egil fait la connaissance dans un train de nuit de Frank, un médecin anesthésiste qui travaille pour Hélicoptère-ambulance, ce dernier lui confie : Je ne suis pas fou, mais depuis cet hiver j’aperçois des gens qui ne sont pas là. Tu vois ce que je veux dire ?

Les narrateurs de ce roman semblent tous à un croisement de leur vie.

Karl Ove Knausgaard signe avec L’Étoile du matin un inoubliable roman choral à l’atmosphère crépusculaire et mélancolique.

Les morts de Beauraing – François Weerts – Editions Rouergue Noir – 2023 – ISBN 9782812625084

Déchirées d’éclairs rouge sang, les photos de l’attentat s’étalaient dans les quotidiens sur plusieurs pages, tout au long des suppléments spéciaux concoctés tard dans la nuit. La veille, le dimanche 15 août, un commando avait décimé un rassemblement de fidèles à Beauraing, siège d’un pèlerinage marial célèbre en Belgique. Un petit Lourdes où la Vierge serait apparue à quelques enfants dans les années 1930. Maniant l’horreur avec des pincettes hypocrites, les rédacteurs en chef s’étaient abstenus d’exhiber les bras arrachés, les entrailles déversées, les têtes fracassées par les balles, les crânes scalpés par les grenades. Les scènes frôlaient cependant l’insoutenable et ce tutoiement avec les lisières de la décence était orchestré avec science pour donner le maximum à voir, et à émouvoir, sans risquer le procès en sensationnalisme. Des vêtements réduits à l’état de charpie après avoir été cisaillés par les services de secours pour dégager les plaies. Une chaussure orpheline de son pied, écrasée comme par un blindé lourd. Une jambe nue dépassant d’un linceul de fortune, intacte mais d’une pâleur morbide…

Tout paraît accuser de jeunes Belges revenus d’une terre de djihad. Sous le choc des événements, les deux associés d’une modeste agence de presse tentent de rassembler des informations. Yves Demeulemeester active ses contacts dans le milieu islamiste tandis que Léopold Verbist recueille le témoignage du père de l’une des victimes.

Dans la capitale les premières échauffourées éclatent, les magasins sont pillés, les cocktails Molotov enflamment les voitures. L’ombre d’un attentat plane.

Au même moment Bruxelles avait l’insigne honneur d’accueillir un nouvel évêque auxiliaire, Mgr Dubois. La nouvelle de l’attentat l’avait cueilli le jour de son intronisation et le prélat en profitait pour y aller de son antienne devant les caméras. -Dieu ne laissera pas impuni le massacre des saints Innocents. Je vois dans cette tragédie un avertissement. Cessons de nous complaire dans une existence dont nous avons banni Jésus-Christ. Convertissons-nous tant qu’il est temps. Retrouvons le chemin que nous indique notre seigneur.

-Et voilà, brandissons l’étendard de la vraie foi pour faire pièce aux adorateurs des fausses idoles, ricana Yves Demeulemeester.

Tout se corse lorsqu’Ingrid Mertens, militaire d’active, sergente spécialisée dans les armes légères et mère adoptive d’un enfant-soldat du Congo, leur apprend la disparition de son fils, petit voyou évoluant aux marges de bandes urbaines comme celui des Black Cobras. Aux dernières nouvelles, Jérémie s’était mis à fréquenter des cathos ultras, « les Frateschi », une cellule spéciale des croisés.

Dans les acteurs du récit, nous trouvons l’inspecteur principal Martial Chaidron et son adjoint Bart Vandekasteel. Depuis un an, le duo de péjistes avait rejoint une cellule de la police fédérale chargée de rechercher des adultes signalés disparus. Une punition pour ces deux anciens enquêteurs de la criminelle après un micmac dans lequel ils s’étaient imprudemment avancés. Bref, les occasions de tomber sur un cas palpitant étaient exceptionnelles. D’où l’entêtement de Bart à chercher l’arsenic dans les sédiments du désespoir, la balle derrière la plaie du mal-être, le couteau sous le lit de la libido contrariée. Un homicide eût pu les remettre en selle, leur ouvrir le chemin de l’enquête criminelle, la vraie. Et les exonérer de l’épluchage de vie insipides, de comptes bancaires plongeant dans des gouffres vertigineux ou de situations professionnelles d’une médiocrité terminale. Pas le moindre devoir ne leur avait été confié. Pas même une fouille paresseuse dans une quelconque banque de données. Aucun coup de fil ne leur était adressé. Et nul courrier électronique urgent ne leur parvenait. Le vide. Comme s’ils avaient disparu dans les mêmes limbes que leurs clients habituels. Dès lors lorsque la disparition de Jérémie Mertens leur est communiquée par l’un des journalistes, leur réactivité s’enclenche.

Dans les airs, au-dessus de la capitale, les hélicoptères cartographient en temps réel la situation des forces en présence. Les chevaux de la cavalerie chargent les manifestants, les caméras de surveillance engrangent le maximum d’images. Malgré une mobilisation aux niveaux hiérarchiques les plus élevés, la réaction des autorités donne une impression de flottement.

Éléments fédérateurs, le roi va tenir un discours et la princesse héritière va rendre visite à l’Iman de la grande mosquée…

François Weerts livre d’une main de maître un palpitant thriller politique dans une ville de Bruxelles méconnaissable, capitale de toutes les douleurs et de toutes les haines.