Krummavísur – Ian Manook – Editions Flammarion – 2024 – ISBN 9782080445575

Dans cette dernière enquête de Kornélius Jakobsson, Ian Manook ne s’est pas départi de son habituelle écriture riche et ciselée. Pas besoin d’aller dans une salle obscure pour faire naître l’imagination du spectateur. Manook l’écrivain campe dès les premiers mots, les premières phrases, tout le décor de son nouveau récit. L’ambiance y est, l’atmosphère aussi. D’instinct, le lecteur enfile une doudoune.

Accrochez-vous.

Le petit avion lutte contre la tempête. Il se cogne aux bourrasques qui le chahutent. Des vents retors et givrés cherchent à le plaquer pour le déchiqueter sur les séracs acérés. Ils survolent le Vatnajökull, un mauvais géant. Le plus grand glacier d’Islande. Un dôme nacré et soyeux quand le ciel est bleu, mais un monstre sinistre hérissé d’armures de glace mortelle par temps de brouillard. Et pire encore sous la tempête. Sous un dais de nuages, ils rasent un des doigts que le Vatna force jusqu’à la mer furieuse entre les derniers contreforts des montagnes qu’il érode depuis des millénaires. Celui qui se glisse jusqu’à la lagune de Jökulsárlón, où ses blocs de banquise se disloquent et se dispersent en icebergs.

L’avion est robuste. Un de Havilland Beaver. Un trapu, un costaud. Solide. La jeep des airs, comme disent les pilotes de brousse ou d’Alaska pour se rassurer quand ça chahute. Mais il n’en resterait pas grand-chose si l’ouragan boréal le rabattait sur le glacier. Autant de pics et de glaives tranchants lacéreraient le ventre de sa carlingue avant de lui briser les roues pour qu’il trébuche et bascule queue par-dessus tête et se fracasse à l’envers. Le vent est de nord-nord-est. Le pire. À cent vingt kilomètres heure, il souffle par leur travers un poudrin qui givre et alourdit la carlingue. Soixante kilomètres encore pour rejoindre leur troisième étape, l’aérodrome de Höfn sur la côte de sable noir. Sans aucune certitude de pouvoir s’y poser.

Dans la furie des vents qui hurlent et du grésil qui abrase le cockpit à l’extérieur, ils n’entendent pas le moteur tousser. Ils le devinent. Un battement en moins. Une extrasystole. Ils l’encaissent avec la surprise et la peur d’un challenger qui redoute un crochet au foie sur un ring.

-Qu’est-ce que tu fais ? Tu veux atterrir sur ce truc balafré de fissures et hérissé de séracs ? C’est une folie. Qui pourrait réussir un truc comme ça ?

Il passe à son poignet la menotte reliée à la mallette qu’il tire de sous le siège…

*

La mer se démonte et chahute le chalutier. Une mer de silex. Dure et froide, aux arêtes tranchées. Laiteuse dans l’éclairage cru du projecteur. Au-dessus, l’hélico de la Viking Squad, les forces spéciales islandaises, lutte contre des vents qui s’acharnent à le bousculer. La pluie n’est visible que dans le faisceau de lumière, mais elle crible les hommes du commando par la porte ouverte de l’engin. Le chalutier n’obéit pas aux injonctions et fracasse la houle pour rejoindre les eaux groenlandaises.

-Où sont les garde-côtes ? hurle Botty dans la fureur du vent et le vrombissement des pales.

-À une heure derrière. Ils n’arriveront pas à les rattraper avant qu’ils rejoignent leurs eaux territoriales, crie le chef du commando.

-Alors il faut y aller.

-Trop dangereux.

-Ça se tente, répond Botty, penchée au-dessus du vide, ce sont mes assassins et je les veux.

*

En deux mots, deux pêcheurs soupçonnés du viol et du meurtre de la jeune Anika  Allansdóttir sont arrêtés en pleine mer.

Au sud-est de l’Islande, la police découvre trois cadavres pris au piège dans la glace.

L’inspecteur Kornelius Jakobsson doit faire la lumière sur ces deux affaires ayant pour toile de fond la corruption de la classe politique en Islande qui voit ressurgir l’affaire Iceworm, un programme militaire secret américain.

*

Les personnages :

Kornelius Jakobsson, « Pire meilleur flic » d’Islande. L’homme qui ne sait pas parler à celles qu’il aime. L’homme des salles de force, qui bouscule la vie des autres comme ces maudites pierres de cent kilos. Celui qui celui qui fredonne sans cesse le Krummavísur, la lugubre complainte des corbeaux morts de faim.

L’inspectrice Botty.

Ari Eiriksson, le jeune enquêteur aux dictons. Son grand-père en a inventé sept cents, tous les plus incompréhensible les uns que les autres. Sept cent trente-quatre, dans douze carnets qui…

Petra Haraldsdóttir, inspectrice, la fille du chef du Parti progressiste.

Gunnar Bergmansson, député.

Björn Johansson, l’avocat du député.

Helga, la jeune Première ministre.

Lars Rasmussen, un vulcanologue danois disparu en mars 2002.

Kornelius gare sa Saab jaune sur le côté de la route. Les herbes hautes attendent en frémissant qu’un vent taquin vienne les chahuter. Haut dans le ciel, un rapace joue les sentinelles sous un ciel ennuagé comme une mappemonde.

La maison est adossée à une haute colline picotée de brebis blanches jalousées par deux béliers noirs. Tous sont immobiles. Seule leur toison cotonneuse froufroute dans le vent qui trousse enfin les herbes hautes. Elles s’échevellent comme des folles agitées et s’irisent de reflets bleutés, jupons effarouchés et joyeux sous les doigts joueurs d’un godelureau invisible.

-Qu’allez vous faire, maintenant ? s’intéresse la Première ministre qui ne peut cacher sa sympathie pour Kornelius

-Je vais aller admirer la nouvelle éruption la nouvelle éruption du foie gras d’Alsace cheval *, dit Kornelius en se levant.

-C’est une bonne idée, reconnaît la Première ministre. J’aimerais bien avoir le temps d’en faire autant.

PS : Il faut bien évidemment lire « Fagradalsfjall » et non « la nouvelle éruption du foie gras d’Alsace cheval » comme suggéré par la fonction dictée de cette chronique !

Une lecture échevelée… qui nous laisse pantois.

Ian Manook, ce diable d’homme, parvient à nous emmener pour notre plus grand bonheur vers des horizons inhabituels et sauvages. Un artiste.

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