Veiller sur elle – Jean-Baptiste Andrea – Éditions l’Iconoclaste – 2023 – ISBN 9782378803759

Ce mourant-là n’est pas comme les autres. Il est seul en ces lieux à ne pas avoir prononcé de vœux. Pourtant, on lui a permis d’y rester pendant quarante ans.

Août 1986. Dans un monastère italien où il vit, Mimo veille sur elle, sa dernière œuvre, une troublante statue. Elle qui attend, dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. Elle qui patiente depuis quarante ans. Tous les moines de la Sacra l’ont vue une fois. Tous aimeraient la revoir. Il suffirait d’en demander la permission au padre Vincenzo, le supérieur, mais peu osent le faire. Par peur, peut-être, des pensées impies qui viennent, dit-on, à ceux qui l’approchent de trop près. Et des pensées impies, les moines en ont bien assez comme ça quand ils sont poursuivis, au cœur du noir, par des rêves au visage d’ange. Mimo se meurt. Au cours de ses dernières heures, entre souvenirs et divagations, il plonge dans l’histoire de sa vie.

« Il Francese. J’ai toujours détesté ce surnom, même si l’on m’en a donné de bien pires. L’Italie, royaume de marbre et d’ordures. Mon pays. Mais c’est un fait, je suis né en France en 1904. Mes parents avaient quitté la Ligurie en quête de fortune quinze ans plus tôt, à peine mariés. En guise de fortune, on les avait traités de Ritals, on leur avait craché dessus, on s’était moqué de leur façon de rouler le r – or, pour autant que je sache, le mot rouler commence bien par un r. »

« Tout tenait à ce mot, piccolo, il fut évident à qui me voyait que je resterais plus ou moins piccolo toute ma vie.

En 1914, l’État français, déclara que mon père était sans l’ombre d’un doute un bon français, digne de la conscription, d’autant qu’un fonctionnaire l’avait, par erreur ou par jeu, rajeuni de dix ans en recopiant son certificat de naissance. Mais la guerre tuait. Elle tua mon père. Mon père était sculpteur. Ma mère voyait mon amour pour la pierre malgré mon jeune âge, parce qu’elle savait que j’étais promis à de grandes choses, et qu’elle m’avait donné un prénom pour ça. Elle nous fit rentrer au pays parce qu’elle croyait en moi. »

Né pauvre, Mimo est confié en apprentissage à un sculpteur de pierre sans envergure. Mais il a du génie entre les mains.

Toutes les fées ou presque se sont penchées sur Viola Orsini. Héritière d’une famille prestigieuse, elle a passé son enfance à l’ombre d’un palais génois. Mais elle a trop d’ambition pour se résigner à la place qu’on lui assigne.

Ces deux-là n’auraient jamais dû se rencontrer.

« J’avais tout juste 13 ans. L’oncle Zio me faisait travailler comme n’importe quel homme. Le toit luisait, vernissé par les averses de la nuit. La statue déchue disparaissait au tiers à l’intérieur du trou qu’elle avait percé dans les tuiles. Notre métier était dangereux. Quand soudain mes jambes se dérobèrent, comme ça, sans crier gare. Je dévalai tout le toit, pris mon envol sur une tuile chatière, atterris à demi sur un chéneau de zinc. Mes doigts s’y agrippèrent une fraction de seconde, mais à quoi bon ? J’avais sommeil. Je lâchai prise et tombai, bras ouverts, dans dix mètres de vide. L’inconscience ne dura qu’une seconde. Je percutai la façade de plein fouet, pleinement réveillé, après avoir décrit un arc parfait. La corde avait tenu. Une prudence que je devais à mon père et qui se résumait en un dicton : Quand on construit une cathédrale, il pleut des sculpteurs. »

-Que fais-tu là, dans ma chambre ? Comment es-tu entré ?

-Par la fenêtre.

-Pourquoi ?

-J’ai essayé de voler. Ça n’a pas marché.

Au premier regard, ils se reconnaissent et se jurent de ne jamais se quitter. Viola et Mimo ne peuvent ni vivre ensemble, ni rester longtemps loin de l’autre. Liés par une attraction indéfectible, ils traversent des années de fureur quand l’Italie bascule dans le fascisme. Mimo prend sa revanche sur le sort, mais à quoi bon la gloire s’il doit perdre Viola ?

Un roman plein de fougue et d’éclats, habité par la grâce et la beauté.

Une écriture emplie de charme, de richesses et de rebondissements qui offre au lecteur un immense plaisir !

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