Berlin Requiem – Xavier-Marie Bonnot – Éditions Plon – 2021 – ISBN 9782259306027

Wilhelm Furtwängler est l’un des plus grands chefs d’orchestre allemands. Il dirige l’orchestre philarmonique de Berlin et éblouit son public par son génie virtuose.

En 1934, c’est le début des années noires. Le nazisme s’impose et dépossède les artistes de leur art. Les juifs sont exclus de l’orchestre et contraints de s’exiler. La culture devient politique. La musique devient un véritable instrument de propagande. Continuer d’exercer son art mais en se soumettant au régime du IIIe Reich… ou fuir l’Allemagne ?

Pour Furtwängler, ce choix n’a pas de raison d’être. Mais l’art est-il véritablement au-dessus de la politique ?

À Berlin, tout le monde s’épie, tout le monde se renifle. Pour la jeune Winifred, l’Oncle Wolf, l’homme sur la photo, dirigera un jour l’Allemagne et lui rendra son honneur, sa grandeur. Un sauveur !

Rodolphe Meister, fils d’une célèbre cantatrice, rêve de diriger un jour l’Orchestre philharmonique de Berlin et observe les événements avec son regard de jeune garçon. Mais il est surtout captivé par la chorégraphie gestuelle du Maître, le chef d’orchestre Wilhem Furwängler.

– Tu veux voir l’orchestre ? Ici à Bayreuth, personne ne peut le voir, ni son chef. Monte sur le pupitre.

Rodolphe aura sept ans dans trois mois.

Furtwängler hisse l’enfant sur la chaise haute. De là, il domine la fosse qui pénètre loin sous la scène. Les musiciens rangent leurs instruments, échangent quelques mots feutrés dans un bruit de bric-à-brac. En l’apercevant, le premier violoncelle adresse un sourire à Rodolphe qui répond par un signe de la main.

*

– Vous n’êtes pas à la bonne page !

Furtwängler observe Rodolphe qui tapote du doigt l’énorme partition sur le pupitre.

– Ce n’est pas là que vous vous êtes arrêté.

Furtwängler se penche vers l’enfant et lui souffle :

– Tu as raison, mon garçon. Mais comment le sais-tu ?

– Je sais très bien lire la musique.

Rodolphe cherche les dernières pages

– Alors, je dois t’avouer un secret, dit Furtwängler à voix basse. Mais il ne faut pas que tu le répètes. Pas même à Christa Meister. Promis ?

– Juré.

– Je connais la partition par cœur. Toutes les notes, de tous les instruments. Tous les silences…

C’est pour cette raison que je ne tourne pas les pages. Ça ne sert à rien.

Rodolphe écarquille les yeux en visant le gros livre. – Tout ça vous le savez par cœur !

Wilhem appuie la pointe de son index sur sa tempe.

 – Tout est là-dedans ! Dans ma tête.

Rodolphe reste bouche bée.

– Est-ce que tu aimerais être chef d’orchestre plus tard, quand tu seras grand ?

– J’hésite, répond le gamin avec aplomb. Peut-être pianiste, car je joue bien. Ou peut-être compositeur.

– Pourquoi compositeur ?                

– Parce qu’il est comme Dieu. Lui seul est la musique.

*

Hitler est un camelot qui ne comprend rien à rien à la musique.

Du grand Mendelssohn, Goebbels affirme que c’est de la musique de Juif, une pâle imitation des grands génies allemands. Il a promis de le retirer bientôt du répertoire du Berliner, car le peuple allemand s’est réveillé. Bannir le grand Mendelssohn, comme Hindemith ou Schönberg, des dégénérés… Tous des amis proches de Wilhelm Furtwängler.

Depuis des lustres, Göring veut s’approprier le chef d’orchestre. Goebbels n’a jamais pu cacher sa rivalité envers le maréchal obèse. Göring a nommé Furtwängler conseiller d’État, titre prestigieux mais vide, irrévocable. Göring est un vrai prédateur, il sait s’y prendre pour piéger les hommes qui aiment les honneurs. Le titre de conseiller d’État ne peut-être annulé sans une décision spéciale du Führer et seulement en cas de meurtre ou de trahison. Pour compromettre une personnalité, il n’y a pas mieux. De son côté, Goebbels,  dès son arrivée au pouvoir, bombarde le célèbre musicien de titres : Reichkultursenator, vice-président de la Reichsmuzikkammer.

Le musicien accepte, parce qu’il a toujours été un homme sensible aux marques de reconnaissances.

Il vient de chausser le mauvais étrier.

*

Xavier-Marie Bonnot retrace d’une plume assurée toute la montée en puissance de ce régime barbare. Avec toutes les manipulations et les divers degrés de chantage afin de resserrer les rênes du pouvoir.

Un musicien, c’est sacré, bien plus qu’un vulgaire soldat. Chair à canon, chair à musique.

Comme Strauss, Furtwängler fait désormais partie des projets nazis. La nouvelle Allemagne se doit d’avoir ses monuments, vivants si possible. Les deux hommes deviennent l’escorte sonore du Führer. Hitler en a décidé ainsi. Personne ne touchera à l’idole des Allemands.

*

Juin 1954, l’opéra royal du Danemark cherche un nouveau chef d’orchestre pour remplacer le grand Wilhelm Furtwängler…

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