Ce que le fleuve doit à la plaine – Alain Lallemand – Éditions Weyrich – 2024 – ISBN 9782874899232

Oleg regardait les mains de son père courir sous la robe du cheval, annoncer chaque mouvement de brosse par une main délicate posée à plat sur le flanc. Malgré le brouillard constant d’un fond d’alcool, Arseniy restait au plus près de ses bêtes. Il pouvait en quelques secondes se noyer dans un monde où les équidés avaient remplacé ces hommes dont il se méfiait désormais. Plongé dans un univers ouateux où n’existaient ni l’alcool pour les uns ni patron pour l’autre, il parlait aux chevaux dans une langue qu’Oleg ne comprenait pas, un dialecte persan, mélange de mongol et de turc que le père disait avoir appris lors des campagnes d’Afghanistan. Quelques années avant la naissance d’Oleg, le palefrenier avait passé trois hivers à Bamyan sous une neige dont l’éclat douloureux s’ajoutait aux blessures du froid. Face à son poste de tir, deux immenses bouddhas troglodytes demeuraient imperturbables sous la glace et les flocons, comme s’ils le narguaient. Trois années perdues loin de Varvara…

-Des gens adorables. C’est avec eux que j’ai appris la langue des chevaux. Quand le soleil brillait, les Hazaras le pointait du doigt en disant : « Libération, bientôt… ».  Je comprenais les mots. J’ai jamais su s’ils parlaient du printemps ou de notre débâcle à nous, les Soviétiques. Eh bien, aujourd’hui, les chevaux sont comme moi, tu vois : ils sentent venir les beaux jours, mais ils ne savent pas sur quel sabot danser. Une chose est certaine, on attend le soleil.

Crimée, février 2014.

Un groupe de pêcheurs Tatars  du clan des Giray découvrent dans le fleuve Alma le corps supplicié d’un jeune de leur communauté.

Angel Minin, un maquignon parvenu, un Ukrainien venu du continent, et nouveau riche… Il n’était pas devenu un grand propriétaire terrien sans grapiller l’un ou l’autre terrain tatar. Un ranch, une somptueuse villa… Il n’avait pas son pareil pour galvaniser la jeunesse, flatter sa brutalité. Sous la pâte du quinqua confortable, l’homme à la fourrure avait gardé un éclair sauvage dans les yeux, une ironie canaille qui donnait aux gamins, « les sept nains », l’envie de compter parmi ses amis, de ravaler leur violence pour satisfaire aux ordres de l’Ukrainien. Ils parlaient un argot russe, venu des bas-fonds, celui qu’ils associaient aux autorités de l’ombre, de la sécurité et de la protection. Celui des patrons de boîtes de nuit et de leur fourgueurs de came en demi-gros. Angel le pratiquait avec autant d’aisance que son aura était renforcée. Il se mélangeait au russe le plus pur et à l’ukrainien : bienvenue dans la réalité quotidienne de la Crimée.

Marsel, un notable tatare, secrétaire d’assemblée parlementaire, victime d’une attaque au couteau…

Kash, le fils de Marsel, amoureux de Nina. Pour elle, Kash était naturel et sauvage…

Oleg, ami d’enfance de Kash et fils de Arseniy Churkin, le palefrenier.

Timur, le jeune frère de Kash.

Nina, la jeune sœur de Myriam Roudakova « l’italienne », la « fiancée » d’Oleg. Myriam devait admettre que sa cadette était désormais la plus flamboyante des deux, un soleil de Toscane qui irradiait sur les cageots de tomates noires, poivrons rouges et jaunes, aubergines et champignons, carottes et courgettes. Lorsque la jeunesse se conjugue à la fraîcheur, au velouté des cultures en serre, qui pourrait lui résister ?

Vladimir Illich, gérant d’hôtels de luxe en front de mer. Il emploie Oleg comme guide de randonnées équestres.

Constantin Hordienko, quarante ans, lieutenant au bureau central de police.

Russes, Tatars, Ukrainiens s’observent. Ici, personne ne se mélange incognito. Même les Ukrainiens du continent on les distingue…

« Quand deux chevaux se disputent, l’âne qui se glisse entre eux prend les coups ». Car personne ne peut s’approprier la Crimée, telle est la loi du dieu des nomades.

Pendant ce temps, des « petits hommes verts bien polis » prennent le contrôle du Parlement, encerclent les bases militaires, les aéroports. Les communications sont coupées. L’invasion russe aurait-elle commencé ?

Usant d’une écriture remarquable, Alain Lallemand entraîne son lecteur dans une aventure tout empreinte de rebondissements et d’une actualité poignante.

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