Un ciel bleu comme une chaîne – Valérie Van Oost – éditions La Trace – 2024 – ISBN 9782487261

Michaël est un glandeur. Il ne peut appréhender la misère crasse qui habite les journées de Kathy, sa femme, gardienne de prison. Les odeurs de moisis, de sueur et de cendre froide, la violence larvée à laquelle elle ne doit jamais tourner le dos.

Il n’a pas mesuré qu’elle partage moins de temps avec lui qu’avec des voyous qui, pour la plupart, sont enfermés parce qu’ils ont voulu s’échapper de leur vie, faire le mur de leur quotidien et se soustraire aux règles. Là-bas, elle nie jusqu’à son prénom, pour ne s’appeler plus que « surveillante » devant les détenus. Michaël n’a pas réalisé que la prison est devenue la norme pour sa femme. Il est trop tard pour lui expliquer.

L’admiration naïve qu’il lui porte l’oppresse, un sirop écœurant qui englue Michaël dans leur maison, le scelle au canapé et colle aux basques de Kathy. Il la voit toujours comme sa princesse, alors qu’elle a pris la poudre d’escampette. Elle s’est barrée du conte de fée qu’ils voulaient se raconter en s’installant dans un pays de cocagne. Pour décrocher un rôle de premier plan, elle a tenté de se greffer à une autre histoire, de changer le scénario. Elle a vibré sous le regard du Kabyle au rythme intense de ses mots, libérée du ronron de son quotidien. Elle s’est sentie exister le jour où il lui a demandé un premier service. Elle est devenue importante quand il lui a proposé de remonter des informations. Avec lui, la vie est exaltante. Elle s’est mise à côtoyer des types qui ressemblaient à ceux de Mafiosa, portent des blousons aviateurs, roulent en SUV et se retrouvent le soir sur les chemins caillouteux le visage caché de la lumière de la lune. Elle a consenti à se laisser manipuler, parce qu’elle cédait à la tension trouble du Kabyle dès qu’elle entrait dans la cellule. Elle y pénétrait plus que ce que le règlement autorise pour un service, pour mendier son admiration. Elle s’est vu jouer la Mafiosa du mitard, la Soprano de la taule.

Les flics sont venus la cueillir après 6h30 au moment de la relève. Sans la laisser se changer. Sur le moment, ça l’a rassurée. Un duo de flics l’a encadrée, s’emparant de ses mains qui s’affairaient à dégrafer son ceinturon. Le plus costaud semblait mal à l’aise. Désorienté de se retrouver là, à pincer une matrone au lieu de s’arrêter au greffe pour y laisser des types aux vêtements accablés par une macération en garde à vue. Le second, contredit par son âge et sa petite taille, se hérissait pour se grandir et camoufler une allure juvénile. Alors, il regarde Kathy de haut et refuse de s’avouer qu’il n’est pas prêt, dès les premiers jours de sa prise de poste, à serrer une matrone.

*

Laure avait travaillé d’arrache-pied pour s’intégrer au cabinet de la famille Faure, pour parvenir à se faire appeler Maître ou Ma chère consoeur. Ce n’est qu’après qu’elle avait dit « oui » au fils du patron. Elle a dû apprendre à se tenir droite. À table. À son bureau. Sur des talons. Dans les conversations. Choisir les bons couverts. Marcher avec élégance. Bien s’habiller. Être décontractée au bon moment. Apprendre à jouer au tennis. Acquérir les codes, les références et les usages. Parler avec distinction. Savoir ce qu’il faut aimer ou pas. Gommer son accent. Vocabulaire apprêté. Débit de voix ralenti. Inflexions domptées. Elle n’y arrive plus. Elle est éreintée de mentir aux autres et plus encore à elle- même.

*

-Vous servez à quoi ? cogne Kathy.

Elle veut jauger ce que l’avocate a dans le bide. Elle veut avoir des nouvelles de ses filles.

-Faut que j’appelle mon mari !

*

L’une projette dans sa vie des éléments de feuilletons télé. L’autre tente de chasser les écrans qui se superposent à son reflet dans le miroir. La matonne et la bourgeoise. Elles se jaugent. Laure ne cesse de s’interroger sur Kathy, sur les personnages de fiction qu’elle évoque comme des relations. Des relations que cette femme a en commun avec elle. Des histoires qu’elles partagent. Des souvenirs dont Laure tente de repousser l’attaque.

Laure, n’a fait que s’installer dans l’histoire qu’on lui a racontée, un malentendu, sans retour possible. Sans coupable et sans victime.

L’avocate doit se concentrer sur le dossier de sa cliente. Ce qu’a livré Kathy ne ressemble pas à un jeu autour d’une scène de crime, plutôt un rôle qu’elle endosse pour résister à l’amertume, sa manière de fuir un avenir immobile dans sa cité de Bondy. Elle se demande de quoi cette femme a été capable pour vivre une autre histoire que celle à laquelle elle était destinée ?

Est-ce mentir de tenir un rôle qui ne nous était pas attribué ?

*

L’auteur dépeint avec subtilité deux personnages que tout va rassembler.  Cette avocate commis d’office, qui se camoufle sous le fond de teint de la petite bourgeoise parfaite et une détenue paumée griffée par la vie. Deux personnalités qui étouffent dans leurs cocons respectifs.

Laure, Laurence…

Kathy, La parisienne…

Et pourtant, en changeant de prénom, elle s’était crue libérée, elle n’était qu’amputée d’une partie d’elle-même.

Un roman interpellant, brûlant d’actualité !