
Pendant que les fils de bourges déambulent dans les grandes écoles privées, les prolos profitent des aides. Assistés que nous sommes. On l’entend souvent. Statistiques comblées. Les miettes tombées de la table, nous les léchons comme de bons petits clébards. Nous en sommes repus. C’est ce qu’ils doivent penser les autres dans leurs belles maisons, qui se savonnent en Dior ou Chanel.
Gare SNCF de Béziers. Une fille me demande de l’argent. Trop près. Son haleine dans ma face. La même fille comme partout. La punk à chien de toutes les gares, les dreads sur la tête. Cliché peut-être. Réalité, c’est sûr. Je lui dis non. Pourquoi devrais-je lui donner de l’argent ? Je ne la connais pas. Elle s’éloigne hagarde et reniflante. Pas un mot entre ses dents gâtées. Juste un souffle écrasé.
– Tssssssss.
Connard de radin elle doit se dire… Laquais du capitalisme elle doit se dire. Je suis un porte-monnaie sur pattes dans sa tête de rebelle antisystème.
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Le narrateur est un de ces rampants. Un cherche boulot, passant de formation en formation. Le nez dans le plâtre et la poussière du matin au soir. Deux ans et demi à saigner dans les murs à la disqueuse, tirer des câbles électriques, porter des vêtements crasseux, manger à même le sol son sandwich au jambon, les mains sales, le cul posé sur une caisse à outils.
Depuis trois jours Béziers m’accueille dans son ventre gris de ville croupissante. Pour une formation de restauration. Centre de formation AFPA, payé par l’état, refuge des ratés, naufragés pôle emploi.
Les chantiers, c’est fini. L’AFPA était une porte de sortie. La restauration c’est sans doute mieux je me disais. Béziers était la destination la plus rapprochée dans le temps. C’est un ailleurs alors c’est bien je me disais. Nous y sommes. 900 km m’ont mené ici, loin de chez eux, maman et papa. Suffisamment loin pour tenter la fuite salvatrice de la crasse de ma condition sociale. Fuir. Fuir moi. Péquenaud de province, bouseux, jamais sorti de son trou. Fils sans diplômes de prolos sans diplômes. Rebut du système, ni bac, ni savoir, seul bagage culturel un vieil accent du nord de la France. Tout comme maman, tout comme papa, tout pareil.
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Le narrateur, lui n’aime pas trop les gens ensemble. C’est toujours quand les gens sont ensemble qu’il n’y a plus personne ; C’est comme une bestiole à multiples pattes. Le groupe c’est la tête et les gens sont les pattes. Ça ne pense pas une patte. Une patte, ça fait ce que dit la tête. Je vais essayer d’être une patte. Puisque c’est ça qu’il faut être. Puisqu’être une tête, je n’en ai pas les moyens.
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Une rencontre ouvrira une voie. Amitié ou camaraderie ? Ce premier ami lui, aime le rap. « Les héritiers des poètes », il dit. «Mais eux, ce sont des mecs », il dit ; « Des vrais. Pas des fiottes de salon ». « Des résistants »…
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L’écriture de Léo Betti est tranchante comme un scalpel. Tout est net, précis. Sans bavure. Il jette un regard perçant sur la société. Sur ces gens qui, bon gré mal gré, se croisent, se rassemblent. Tentent de survivre.
Une bonne petite centaine de pages sans complaisance, sans fard. Un rythme à vous couper le souffle.